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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Pietro Marcello
L’Envol
Sortie du film le 08 mars 2023
Article mis en ligne le 18 mars 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame, romance

Durée : 100’

Acteurs : Raphaël Thiéry, Juliette Jouan, Louis Garrel, Noémie Lvovsky, Yolande Moreau, Ernst Umhauer, François Négret...

Synopsis :
Quelque part dans le Nord de la France, Juliette grandit seule avec son père, Raphaël, un soldat rescapé de la Première Guerre mondiale. Passionnée par le chant et la musique, la jeune fille solitaire fait un été la rencontre d’une magicienne qui lui promet que des voiles écarlates viendront un jour l’emmener loin de son village. Juliette ne cessera jamais de croire en la prophétie.

La critique de Julien

Il y a quatre ans, le cinéaste italien Pietro Marcello adaptait librement le célèbre roman « Martin Eden » (1909) de Jack London, et cela à Naples (et non pas dans les bas-fonds d’Oakland), au XXe siècle, lequel relatait le parcours initiatique d’un jeune marin prolétaire et individualiste, avide de bourgeoisie, lequel allait alors trahir, aveuglé, ses origines, à force de volonté à devenir écrivain, ainsi que par amour pour une demoiselle de cette classe, dont il avait toujours été privé, jusqu’à en découvrir les réalités... Après simultanément deux documentaires, Pietro Marcello adapte aujourd’hui un tout autre récit, puisqu’il s’est lancé sur « Les Voiles Ecarlates / Scarlet Sails » (1923) du prosateur soviétique Alexandre Grine, lequel serait, par ailleurs, l’auteur le plus lu par la jeunesse de Russie. Cette œuvre raconte alors l’histoire d’une jeune fille solitaire et mal-aimée des habitants de son village de Kaperna, elle qui, s’étant vu prédire un amour passionné, va espérer en celui-ci, tout en étant sujette aux regards. Jusqu’au jour où un aventurier la prendra au mot... Comme d’accoutumée, Pietro Marcello aime réinterpréter les histoires qu’il adapte, en leur donnant une nouvelle vie, un second souffle, notamment en délocalisant leur intrigue. « L’Envol » prend alors racine dans la campagne du nord de la France, après la Première Guerre mondiale, alors que Raphaël (Raphaël Thiéry) en revient, et y retrouve sa fille, Juliette (Juliette Jouan), orpheline de mère, de nature rêveuse, ce qui la pousse ainsi à s’isoler, et à ne pas être appréciée. Père et fille seront alors accueillis dans « la cours des miracles », soit une petite communauté matriarcale de marginaux méprisés, exclus, parmi lesquels figure la patronne de la fermette, que l’on accuse d’être une sorcière (Noémie Lvovsky). Mais alors qu’une magicienne (Yolande Moreau) prédira à Juliette que des « voiles écarlates » arriveront bientôt pour l’emmener au loin, un bel aviateur aventureux (Louis Garrel) lui tombera littéralement dessus...

Alors que son précédent film « Martin Eden » parlait de trahison identitaire et familiale, « L’Envol » est tout le contraire, puisqu’on y suit le destin d’une demoiselle et paysanne fidèle, notamment à son père, refusant ainsi de poursuivre ses études en ville, pour rester à ses côtés, tout en ne cessant jamais de croire en ses chances, dont celles de rencontrer le grand amour. Moins torturé, et plus aérien, ce film d’époque, filmé d’ailleurs comme tel, est empreint d’une grande poésie, lequel s’envole littéralement en seconde partie de son réalisme paysan en utilisant disjonctement sa caméra pour passer de plans portés et rapprochés à de plus larges, tandis que certains d’entre eux évoquent ceux du cinéma de Jacques Demy, avec quelques passages chantés, par Juliette Jouan elle-même, elle qui a adapté en musique le poème « L’Hirondelle » de Louise Michel, lequel a, par hasard, été trouvé dans un recueil de poésie dans la fermette qui a servi de décor principal au film. La jeune actrice est ainsi la révélation de ce film, elle qui est âgée de seulement 20 ans, et termine actuellement ses études universitaires de Cinéma et d’Anglais, tout en pratiquant le chant lyrique, et en étant musicienne. Elle est l’une des forces de ce film plus féminin que féministe, son rôle prenant les initiatives, à l’image de celui - volatil - de Louis Garrel, vu par son metteur en scène comme le prototype de l’homme moderne, bien loin de l’image du prince charmant, lequel est fragile et casse-cou. Mais au creux de cette histoire d’émancipation, il y a bien entendu une part importante laissée au rapport entre un père et sa fille. Ce premier est d’ailleurs interprété par l’imposant, atypique et attendrissant Raphaël Thiéry, au parler si prononcé, révélé par Alain Guiraudie dans son film « Rester Vertical » (2016). Il interprète le père dévoué de Juliette, lequel fait des merveilles avec du bois et ses mains (épaisses), tout en étant lui-même impénétrable, tel un rocher. Noémie Lvovsky vient compléter ce quatuor, dans le rôle d’une dame bienfaitrice ayant la main sur le cœur, tout en ne se laissant pas marcher sur les pieds. Tout en laissant son côté fantasque de côté, l’actrice s’avère très généreuse dans ce rôle si important pour Raphaël et Juliette. Ainsi, on s’attache à chacun de ces personnages, au sein d’un univers qu’on croirait tout droit sorti d’un conte de fées...

Projeté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs au dernier Festival de Cannes, « L’Envol » est un film à part, qui dénote, avec son charme fou, et évident, en témoigne le grain de l’image (tournée en 16mm), ou encore le travail chaud et rugueux du son. Anti-conventionnelle, la caméra de Pietro Marcello transmet déjà des idées par sa simple image, dont notamment celle du poids d’une vie passée. On y retrouve, une fois de plus, l’incrustation d’images d’archive réelles, si caractéristique du cinéma de Marcello, comme ici celles du jour de l’Armistice dans la Baie de Somme, ou plus loin celles du film de Julien Duvivier « Au Bonheur des Dames » (1930), permettent à la production de reconstruire le décor d’une ville d’entre les deux guerres, sans trop dépenser. Et force est de constater que le résultat est époustouflant de rusticité, alors que seule la lumière naturelle semble éclairer ces vies en survie, en quête d’existence et d’affirmation, de reconnaissance, et d’éveil. C’est une œuvre qui ne ressemble ainsi à aucune autre, aussi désarçonnante qu’irrésistible, légère qu’optimiste, alors que la mort et le viol s’invitent dans le quotidien de ses personnages, lesquels se cherchent finalement autant que le film lui-même, entre réalité et lyrisme. Quelle prouesse, en tout cas, de parvenir à réaliser encore de nos jours un tel film d’époque. C’est là ce qu’on appelle la magie du cinéma...



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