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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Pawo Choyning Dorji
L’École du Bout du Monde (Lunana : A Yak in the Classroom)
Sortie du film le 11 mai 2022
Article mis en ligne le 15 mai 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 109’

Acteurs : Sherab Dorji, Pem Zam, Ugyen Norbu Lhendup, Kelden Lhamo Gurung, Sangay Lham...

Synopsis :
Un jeune instituteur du Bhoutan est envoyé dans la partie la plus reculée du pays. Loin de la ville, le quotidien est rude, mais la force spirituelle des habitants du village transformera son destin.

La critique de Julien

Ce n’est pas toutes les semaines qu’on assiste à une sortie au cinéma d’un film venu tout droit des terres reculées du Bhoutan. Situé dans l’Est de la chaîne de l’Himalaya, ce petit pays d’Asie du Sud sans accès à la mer, et ayant pour capitale Thimphou, est enclavé entre l’Inde et la Chine, et compte moins d’un million d’habitants. C’est là que le cinéaste bhoutanais d’origine indienne Pawo Choyning Dorji a rencontré en 2006 le maître bouddhiste et cinéaste Khyentse Norbu, avant de découvrir et d’apprendre le cinéma avec lui. Assistant-réalisateur, puis producteur, et aujourd’hui réalisateur, ce metteur en scène a notamment obtenu un diplôme en relations gouvernementales et internationales à l’Université Lawrence aux États-Unis en 2006, ainsi qu’une qualification en philosophie bouddhiste au Sarah Buddhist Institute au Tibet en 2009. Sélectionné parmi les cinq nominés à concourir pour le meilleur long métrage en langue étrangère à la 94e cérémonie des Oscar, « L’École du Bout du Monde », son premier film, est d’ailleurs la première (!) entrée bhoutanaise de l’histoire du cinéma à accomplir cet exploit. Et on comprend pourquoi, tant ce film est un inspirant voyage spirituel et récit d’apprentissage ressourçant, mettant en valeur le métier de professeur, « touchant à l’avenir ». Des mots qui ne sont pas là pour déplaire, étant donné que le critique qui écrit ces lignes est enseignant lui-même...

On y suit alors Ugyen (Sherab Dorji, pour son premier rôle au cinéma, lui qui est non-professionnel), lequel a du mal à assumer son métier d’enseignant, mais doit encore terminer une année obligatoire de formation pour le gouvernement, lui qui rêve de partir en Australie, et d’y vivre de la musique. Le jeune homme, qui ne souffre pas de problème d’altitude, mais bien d’attitude, sera alors envoyé à Lunana (accessible à six jours à pied depuis la ville de Gasa), dans le nord du Bhoutan, dans son école, soit la plus reculée du pays, et peut-être même du monde, à plus de 4800m d’altitude, où le rude hiver himalayen est sur le point de pointer le bout de son nez. En effet, ses 56 habitants ont eux aussi droit au « bonheur national brut », et donc à l’enseignement, le premier étant un indice servant au gouvernement du Bhoutan à mesurer le bonheur et le bien-être de sa population, lequel est inscrit dans la constitution du pays depuis 2008. Mais l’isolement, le manque d’infrastructures et de connectivité au réseau satellite pousseront ainsi Ugyen à l’envie de partir dès son arrivée, sans parler du fait qu’il ne souhaite plus travailler pour l’Etat. Mais ses rencontres et l’accueil que lui feront les enfants, qui ne souhaitent pas être des bergers de yack ou des cueilleurs de champignons, et qui ne demandent donc qu’à apprendre d’un Maître, lui feront ouvrir les yeux sur sa place...

Tandis que le film s’ouvre sur le chant traditionnel « Yak Legbi Lhadar », au cœur du film, chanté de dos au sommet d’une colline par Saldon (Kelden Lhamo Gurung), la fille du chef du village Asha (Kunzang Wangdi), « L’École du Bout du Monde » est un film tourné à l’énergie solaire, loin de tout effet de zèle, au plus près d’une démarche naturaliste, voire du documentaire. Pourtant, il s’agit bien là d’une fiction. Mais pas de n’importe laquelle. Le film nous en apprend ainsi sur la religion et la philosophie bouddhiste, comme sur l’importance qu’y a le yak, soit un ruminant domestique à longue toison de l’Himalaya, et notamment au travers de ladite chanson, qui aurait été écrite par un éleveur de yak local, après avoir déploré d’avoir dû abattre son yak préféré pour le bien du village. Mais surtout, Pawo Choyning Dorji a eu l’intelligence de réaliser un film qui ne suit pas les sentiers battus du scénario classique du citadin délocalisé contre son gré dans un lieu aux conditions de vie opposées aux siennes. Il y est alors question de respect, d’introspection, d’apprentissage à tout âge, d’humilité, tandis que les jeunes enfants, parfaitement authentiques dans leur jeu, sont formidables, eux qui n’ont jamais vu un seul film de leur vie. On est touché par ce film qui coule aux sources de la vie, de l’enseignement (sans aucun moyen de bord - bien qu’on reste ici en surface de la pratique), et tourné ici en conditions d’accès extrêmes. « L’École du Bout du Monde » est un film pur, simple, qui s’apprécie pour la quiétude, l’aspiration et la beauté sincère qu’il dégage.



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