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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Sergei Loznitsa
Krotkaya (Une femme douce)
Sortie le 16 août 2017
Article mis en ligne le 16 juillet 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Un jour, une femme reçoit le colis qu’elle a envoyé quelques temps plus tôt à son mari incarcéré. Inquiète et profondément désemparée elle décide de se rendre à la prison, dans une région reculée de Russie, afin d’obtenir des informations. Ainsi commence l’histoire d’un voyage semé d’humiliations et de violence, l’histoire d’une bataille absurde contre une forteresse impénétrable.

Acteurs : Vasilina Makovtseva, Boris Kamorzin, Marina Kleshcheva, Valeriu Andriuta, Lia Akhedzhakova.

Que voilà un film qui risque de diviser critique et public. Au moment où nous écrivons cet article, Une femme douce a une cote de 8/10 sur IMDB avec plus de cent votes sur cent trente-cinq donne une cotation supérieure à 7. Il faudra attendre sur la durée et le nombre pour en savoir un peu plus sur l’enthousiasme à la réception du film.

Une première réaction à la vue du film : si les médias nous apprennent qu’il ne fait pas bon d’être homosexuel(le) en Russie et en Ukraine, le film nous fait découvrir que c’est à peine mieux d’être femme !
Une deuxième : s’agit-il d’une œuvre géniale ou (désolé) de « foutage de gueule » ?

Nous oscillions de l’une à l’autre perception. Nous comprenions bien où le réalisateur voulait en venir. Kafka et ses univers n’étaient pas loin. Le chemin de croix de cette femme - confrontée à la bureaucratie, à l’univers concentrationnaire, à la corruption et au machisme - en est un pour le spectateur. Autant prévenir : il s’agit d’une épreuve, psychologique, mentale, mais aussi physique. Cent quarante-trois minutes sans aucun répit accordé au spectateur et à l’héroïne ! Celle-ci, plutôt qu’une femme douce est une femme impassible ! Nous la découvrons intériorisant ce qui lui arrive, ce qu’elle ressent face à la bureaucratie, aux insultes, au mépris... Elle n’extériorise rien et se laisse piéger par ceux qui lui laissent entrevoir quelque chose de positif : obtenir des informations sur son mari - emprisonné à tort selon elle et il tout concourt à penser que c’est bien le cas - ou même pouvoir le voir. La fin du film laisse entrevoir (!) cette (im)possibilité, en laissant sa protagoniste suivre quelqu’un alors qu’elle se trouve dans la salle d’attente d’une gare. Des passagers en attente y sont endormis alors qu’elle franchit une porte ouverte. Elle entre dans une nuit noire, mais la caméra ne la suit pas. La caméra reste fixe de longues secondes et nous ne pourrons qu’imaginer ou rêver le futur impossible de cette anti-héroïne !

C’est écrit plus haut : nous avons compris l’itinéraire absurde et kafkaïen, passage obligé de celle qui est sans nom et donc sans autre identité que d’être « une femme douce », passage obligé du spectateur, que le réalisateur tire au forceps en serrant la tête, pour lui faire accoucher de son film, comme s’il lui fallait participer à son enfantement pour arriver à la délivrance. Les mots manquent pour décrire cette expérience, probablement moins vraie encore que nature, enrichie du passé essentiel de documentariste de Sergei Loznitsa dont c’est ici le premier film de fiction. Et c’est peut-être là que ce long-métrage (rappelons : 143 minutes) va déraper et virer au cauchemar. Pour le spectateur, mais pas que. Est-ce que le réalisateur craint de n’avoir pas été assez clair, assez explicite qu’il doivent donner les clés de lecture comme le personnage littéraire de Joseph dans l’Ancien Testament qui interprète les songes ? On quitte alors le réalisme pour une envolée curieuse, étonnante, qui est une relecture - irréversible ? - d’un périple et des rencontres qui furent faites. Ce dernier tiers du film nous a paru (à tort ?... peut-être manquons-nous de poésie ?) déplacé, de trop, inutile, comme s’il venait anéantir, réduire à rien, toute l’implacable rigueur de la route de celle qui découvrira qu’il s’agit d’une aporie. Ce surcroit de sens, presque absurde... pour dire l’absurde de la situation et montrer les intrications du pouvoir et de ceux qui paraissent le contester et y sont intrinsèquement liés, vient théâtraliser à outrance [avec une scène qui n’est pas sans faire songer à Irréversible de Gaspar Noé (2002)]. A vouloir trop expliquer, le réalisateur perd son spectateur en cours de route. Il se sentira abandonné après avoir été pris au piège d’un film interminable et se retrouvera probablement endormi dans la salle à la fin du film, comme ces passagers qui dorment dans la salle d’attente de la gare dans le dernier plan du film !

Nous vous invitons cependant à lire d’autres avis qui ne manqueront pas de paraître. De notre côté, nous sommes partagés, comme notre confrère critique Nicolas Gilson, sur le site Un grand moment et qui donne une double notation au film : « •/♥♥♥♥ », même s’il faut avouer que, pour nous, l’irritation a pris le dessus sur la fascination !

https://www.youtube.com/embed/sXY29gaomCU
Bande-annonce de "Une femme douce" - YouTube


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