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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Benedikt Erlingsson
Kona fer í stríð (Woman at War)
Sortie le 5 décembre 2018
Article mis en ligne le 29 octobre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande. Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…

Acteurs : Halldóra Geirharðsdóttir, Jóhann Sigurðarson, Jörundur Ragnarsson, Juan Camillo, Roman Estrada, Charlotte Bøving.

Du cinéma islandais qui se déroule en Islande, nous pouvons écrire qu’il nous a toujours surpris et jamais déçu ! Ce cinéma est rarement proposé en Belgique hormis lors de l’un ou l’autre festival. Ainsi Hross í oss (Of Horses and Men) de Benedikt Erlingsson, lors du Festival du Film de Bruxelles (en juin 2014) ; Hrútar (Rams) de Grímur Hákonarson en 2015 et Eiðurinn (The Oath) de Baltasar Kormákur, au BIFFF, en 2017. Autant préciser de suite que ce « thriller musical d’action environnemental d’art et d’essai » [selon son réalisateur, Benedikt Erlingsson dont nous découvrons ici le deuxième long métrage de fiction, après donc Hross í oss (Of Horses and Men)]. Le film pourra paraître déconcertant dans son mélange des genres et si le réalisateur peine parfois à trouver son équilibre entre eux, il n’empêche que l’exercice est passablement intéressant.

Le film est l’un des trois finalistes du prix européen LUX qui sera attribué le 14 novembre 2018, avec notamment Styx, alors qu’il a déjà obtenu plusieurs prix :

  • Prix SACD (Meilleur Scénario) et Prix du Public à la Semaine de la Critique 2018.
  • Rail d’Or 2018 (Prix du Public remis par une centaine de cheminots cinéphiles)
  • Coup de Cœur Cinécole 2018 (Prix du public, remis par des enseignants)

Le film a aussi reçu le soutien du Groupe Action Promotion de l’AFCAE (Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai). Ce soutien et ces prix semblent entièrement mérités. C’est que le thème abordé est « casse-gueule ». Il faut parler ici « d’écoterrorisme », déjà au centre du film trop méconnu Night Moves de Kelly Reichardt. Il s’agissait là d’un drame qui raconte l’histoire de « trois écologistes radicaux [qui] décident de s’associer pour faire sauter un barrage hydroélectrique mais le décès d’un campeur sur les rives du lac leur fait douter du bien fondé de leur action [1] ».

Benedikt Erlingsson a évité l’écueil du drame qui aurait du faire un choix entre la condamnation ou la justification des actes en se plaçant sous le double registre du thriller et de la comédie. Il faut ici reprendre la description du film par le réalisateur : « thriller musical d’action environnemental d’art et d’essai » ! Thriller, certes, car il s’agit des actions de la « femme des montagnes », sorte de Robin des bois au féminin qui veut faire sauter des lignes à haute tension pour qu’une usine d’aluminium soit empêchée de poursuivre sa production alors même que les chinois veulent faire l’acquisition de la société dont on peut dire que la préoccupation environnementale n’est pas son point fort et que l’Islande et ces paysages sublimes (magnifiés à l’écran à tel point que le pays en est un des acteurs principaux) risque d’être la grande perdante tandis que financiers et politiques en sortiront vainqueurs et les poches pleines. Face à cette femme, la société", les autorités qui la traquent vainement. Le comique est ici dans certaines situations, notre femme sauvage s’en sort toujours au grand dam des autorités, malgré leurs moyens techniques, même s’il lui faudra, à une occasion, payer le prix du sang !

Et donc, il s’agit bien d’un thriller, mais environnemental ! L’on sera forcément du côté de cette femme, remarquablement interprétée par Halldóra Geirharðsdóttir. Là où l’on peut se poser de la légitimation éthique de ses actes (qui n’entraînent aucune violence sur des humains ou des êtres vivants), le ton du film en mode comédie vient adoucir le propos, bien plus, lui donner une dimension musicale, presque absurde, qui le fait naviguer lu un ton « art et essai ». Ainsi l’apparition à l’écran d’un trio de musiciens lors de certaines actions d’Halla, étonnera peut-être la première et deuxième fois, mais ensuite se comprendra lorsque ces intermèdes musicaux se multiplieront et seront un facteur constitutif lui-même du film, comme si ces musiciens-là (et trois chanteuses ukrainiennes à d’autres moments, nous y reviendrons) amenaient à une prise de distance par rapport aux actes de la protagoniste principale de l’intrigue. Comique aussi lorsque l’on découvre que le chien d’un très lointain cousin (mais tous ne sont-ils pas cousins en Islande ?) se nomme « femme » ! Ou encore lorsqu’un touriste sud-américain, Juan Camillo (Juan Camillo Roman Estrada, qui avait déjà joué dans le premier film du réalisateur) se retrouvera par malchance à plusieurs reprises non loin du lieu des attentats écologiques. Arrêté à plusieurs reprises, il sera relaché avec, chaque fois ces mots : « bienvenue en Islande ». Ou enfin, plus grave peut-être, car porteur de sens dans ce monde hyper-communicant et surveillé, lorsque l’on planque les smartphones dans le congélateur !

Halla n’est pas la seule protagoniste principale, elle a une soeur, Ása (dont la même Halldóra Geirharðsdóttir tient le rôle) qui est son double inverse. Autant Halla est une femme d’action (qui dans la vie professionnelle est professeure de chants et de yoga), autant Ása vise à être contemplative car elle veut se retirer en Inde dans un Ashram. Jusqu’à ce qu’un élément vienne perturber les plans de l’une et de l’autre : plusieurs années auparavant, elles avaient demandé l’adoption d’enfants orphelins ! L’oubli était passé par là jusqu’à ce qu’une réponse positive des autorités va les confronter à la maternité. Peut-on être mère tout en étant militante écologique ? Et si la soeur doit se porter garante, peut-elle l’être encore si elle se retire loin de l’Islande ?

C’est avec beaucoup de sagesse, d’humour souvent, que le réalisateur pousse ses héros au plus loin (ainsi que les spectateurs). C’est que l’on peut vouloir faire sauter des lignes électriques et avoir besoin de courant... voire d’en manquer jusqu’à en faire un coup de sang (l’on comprendra à l’écran). Et il ne faut pas oublier cet orphelin d’Ukraine : en cela le chœur de trois femmes viendra nous le rappeler.

Tout comme la technologie rattrape ceux qui veulent vivre dans la nature, parfois vêtus simplement de peau de bête, la justice finira peut-être par rattraper celle qui veut lui échapper. Ne faudra-t-il pas transmettre là, un avenir l’une à l’autre, ou plutôt échanger leur futur pour découvrir que l’Ashram peut se vivre dans une cellule et qu’une (ré)conciliation musicale des chants et instruments est possible ?



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