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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Jeanne Herry
Je Verrai Toujours Vos Visages
Sortie du film le 05 avril 2023
Article mis en ligne le 7 avril 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 117’

Acteurs : Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Suliane Brahim, Leila Bekhti, Elodie Bouchez, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot, Denis Podalydès, Birane Ba...

Synopsis :
Depuis 2014, en France, la Justice restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer entre eux dans des dispositifs sécurisés. Nassim, auteur de homejacking, comme Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent l’un et l’autre dans une mesure de Justice restaurative. Autour d’eux : d’autres victimes, d’autres auteurs et des encadrants composés de professionnels et de bénévoles. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée... Et au bout du film, des réparations intimes individuelles, enfantées par la rencontre de ces individualités.

La critique de Julien

Fille de Miou-Miou et de Julien Clerc, l’actrice, scénariste et réalisatrice Jeanne Herry ne cesse d’impressionner. Alors qu’on lui doit la comédie dramatique « Elle l’Adore » sortie en 2014, c’est véritablement quatre ans plus tard qu’elle est entrée dans la cour des grands, avec son film « Pupille », film choral et outsider des César 2019. Délicatement, et sensiblement, la cinéaste y traitait sous la forme d’une fiction documentaire le long processus d’adoption d’un enfant né sous X, dans l’attente que les travailleurs sociaux de l’État lui trouvent le(s) parent(s) idéal(aux). Le film retraçait alors le parcours du combattant mis en place par toute une équipe (travailleurs sociaux, familles, etc.) afin de permettre audit enfant de connaître un futur heureux, tout en le nourrissant de personnes dévouées à cette tâche importante, lesquels traversaient elles-mêmes des épreuves personnelles. Alors Jeanne Herry y redirigeait Sandrine Kiberlain ou encore sa propre mère, ce sont Élodie Bouchez et Gilles Lellouche qui y brillaient, littéralement, avec pudeur et subtilité. Or, c’est justement de ces derniers dont Jeanne Herry s’est une nouvelle fois entourée (en plus d’un impressionnant casting) pour son nouveau drame intitulé « Je Verrai Toujours Vos Visages », dévoué à la parole et à la reconstruction, elle qui s’est intéressée ici à la question de la Justice restaurative...

C’est en 2014 qu’a été introduite dans le Code français de procédure pénale la notion de « justice restaurative », alors qu’elle est légalisée chez nous depuis le 15 mai 2006 et la modification de la loi du 8 avril 1965, après une vingtaine d’années d’expérimentation. Ne possédant guère de définition préétablie, bien que considérant l’infraction comme un conflit entre les individus et ensuite envers l’État, ce dispositif offre alors une possibilité de rencontre entre un groupe auteur d’infractions et un groupe de personnes victimes de la même typologie de crime, en l’occurrence ici le vol avec violence, et un viol incestueux. Complémentaire au traitement pénal de l’infraction, cette justice restaurative est basée sur le volontariat et la gratuité, et est entièrement confidentielle, tandis qu’elle n’engage aucune contrepartie ni aucune remise de peine. Cette démarche autonome vise alors la reconstruction de la victime et la responsabilisation de l’auteur de l’infraction (qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non) et sa réintégration dans la société, ainsi qu’à prévenir au mieux la récidive. Intéressée par le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice, c’est à la suite d’un podcast sur la justice restaurative que Jeanne Herry s’est penchée sur ce sujet, autour de l’idée de lien, et donc de réparation par le collectif, et permettant ainsi de nouveaux rapports, de nouvelles connexions où l’empathie peut parfois prendre le pas sur la peur...

On y suit, d’une part, Fanny (Suliane Brahim de la Comédie Française) et Michel (Jean-Pierre Darroussin), deux animateurs formés à la justice restaurative, organiser, après de longues semaines de préparation et de rencontres en individuel, cinq séances de trois heures de discussions chaque mardi, suivies d’un moment de bilan, deux mois après l’issue de ces séances, le tout avec des détenus condamnés pour vols avec violence (Issa, Nassim et Thomas, joués respectivement par Birane Ba de la Comédie-Française, Dali Benssalah et Fred Testot), des bénévoles, et des victimes de homejacking, de braquages ou encore de vol à l’arraché (Nawelle, Sabine et Grégoire, joués respectivement par Leïla Bekhti, Miou-Miou et Gilles Lellouche), soit des problématiques complexes dont on sous-estime souvent les conséquences. D’autre part, l’intrigue explore un drame intrafamilial en suivant le travail de médiation de Judith (Élodie Bouchez), avec Chloé (Adèle Exarchopoulos), violée par son demi-frère (Raphaël Quenard) durant son enfance (elle avait 8 ans, et lui 13 lorsque cela a commencé), elle qui, apprenant qu’il est revenu dans la même ville qu’elle, souhaite poser des règles avec ce dernier afin qu’ils ne se croisent jamais, par l’intermédiaire de la justice restaurative...

Sur un sujet inédit, Jeanne Herry touche en plein cœur, et propage une immense onde d’espoir avec « Je Verrai Toujours vos Visages », libérant les émotions de la parole, dans ce cas réparatrice. La cinéaste parvient à capter l’essence et l’importance même du dialogue dans le long processus de guérison post-traumatique, ici en confrontant les victimes à des/leurs auteurs d’infractions, lui qui interroge notre vulnérabilité, nous poussant (parfois) à mal agir, malgré la peur, et cela aussi bien du côté des responsables que des victimes. Magnifiquement écrits, les dialogues du film témoignent justement des conséquences des actes, et de la vie qui s’arrête finalement des deux côtés des barreaux après ceux-ci. Certes, ces face-à-face remuent les choses, mais ils permettent surtout d’y trouver des réponses, et (parfois) d’avancer par les mots des responsables, d’ouvrir au questionnement, de remettre en question les deux parties, et cela autour d’échanges respectueux, filmé ici en suspens, où l’humanité l’emporte sur toute forme de violence, et où la parole est prise à tour de rôle, autour d’une table, où les chaises sont disposées en cercle (d’où l’affiche officielle du film). Mais alors que tout cela paraît « facile » à l’image, tout ce travail et sport de combat nécessite des mois de préparation en amont, en témoigne ici celui qui précède la rencontre entre le personnage d’Adèle Exarchopoulos et de Raphaël Quenard, où la médiatrice (Élodie Bouchez) n’a pas droit à l’erreur, elle qui ne peut surtout pas conduire à une « revictimisation » d’une victime, alors que la première souhaite mettre les points sur i avec son demi-frère et lui poser des questions qui la hantent, tandis que lui espère qu’elle lui demandera pardon d’avoir porté plainte contre lui, ce qui avait conduit à son arrestation, et son emprisonnement, tandis qu’il a depuis refait sa vie, et s’apprête à devenir père...

« Je Verrai Toujours vos Visages » fait partie de ces films qui pèsent les mots, un film qui invite au partage et à l’écoute active, qui réconforte et qui, in fine, guérissent les plaies plus qu’ils ne mettent qu’un pansement dessus. Alors qu’on reprochait au précédent film de la réalisatrice d’être quelque peu édulcoré dans le traitement de son intrigue, celui-ci laisse cependant davantage d’ombre au tableau, au regard notamment du personnage de Fred Testot (métamorphosé), lequel croît pouvoir replonger malgré la justice restaurative, ou encore du frère d’Adèle Exarchopoulos, qui étaient jeune lorsqu’il a commis ses actes, sans se rendre (soi-disant) compte de ceux-ci, et de leur gravité, sans avoir l’impression ainsi que sa sœur n’était pas consentante, lequel en paie aujourd’hui encore les pots cassés, terrassé par la honte. Pourtant, Jean Herry se veut une nouvelle fois romanesque dans le traitement de son intrigue, étant donné notamment les quelques scènes en coulisse de ces rencontres, braquées sur ses animateurs, et notamment sur celui d’Élodie Bouchez qui, semble-t-il, a des problèmes conjugaux. Mais jamais son film provoque ici l’émotion, ni même le malaise, lui qui tente avant tout de comprendre, et de chercher des réponses qui permettraient à tous ses sujets d’avancer. Or, ceux-ci sont - tout comme dans « Pupille » - portés par des acteurs dont le jeu sont entièrement au service du sujet. En effet, la cinéaste se révèle décidément être une exceptionnelle directrice d’acteurs, lesquels se livrent sans tricher au travers de leurs personnages, et texte. Il est évident que ces derniers ont une confiance aveugle en leur metteure en scène, et ils ont eu bien raison de cela, tant l’ensemble éclate d’authenticité. On a d’ailleurs l’impression que les dialogues aussi humbles et profonds sont ici improvisés, alors qu’il n’en est rien. Pour ne citer qu’eux, Leïla Bekhti, Adèle Exarchopoulos et Dali Benssalah nous offrent alors des prestations à tomber par terre (d’une chaise, ou plutôt d’un siège !), se livrant sans filtre, eux qui voient leurs personnages parvenir (évidemment) à évoluer au travers de la justice restaurative...

On ressort dès lors estomaqué par la force avec laquelle le film parvient à capter ses (et nos) émotions, au travers d’une mise en scène fluide (bien qu’elle puisse paraître redondante dans la forme), privilégiant ainsi l’écoute active, l’immersion empathique, et des échanges intrigants, qui ouvrent à la réflexion et au débat, tandis que le montage du film incorpore des images d’archive des événements racontés (l’enfance de Chloé, une image de la maison que Nassim s’apprête à homejacker, etc.), bien que ces derniers se lisent sur le visage de leurs victimes. En étant au plus près de la vérité, sans avoir eu pourtant l’opportunité d’y assister (ce qui aurait été contraire au principe de base de cette pratique), bien qu’elle ait assisté à des formations, Jean Herry restaure ici la foi envers la parole et la force de sa libération, ouvrant à la paix intérieure plutôt qu’à la peur, et cela dans un monde où la violence est, pourtant, partout. Si ce n’est une voix-off finale commentant de manière soulignée et idéologique les dernières images du film et les rayons de soleil qui en jaillissent, « Je Verrai Toujours vos Visages » est un film aussi important qu’optimiste et réparateur, ouvrant à la possibilité de reconstruction par la justice restaurative.



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