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Interview de Laurier Fourniau
A propos de son premier long « Low Notes »...
Article mis en ligne le 30 octobre 2016

par Charles De Clercq

Après des études littéraires en hypokhâgne/khâgne (il a obtenu le premier prix d’un concours de lycéens sur le thème « Pourquoi j’aime la littérature russe ») et un passage par l’université californienne UCLA, Laurier Fourniau sort diplômé d’un master professionnel en Scénario/Réalisation à la Sorbonne. Puis c’est à Bruxelles qu’il pose ses valises pour prolonger ses études de cinéma à l’Insas, d’abord en montage puis en image. Passionné de musique et de photo, il multiplie en parallèle des expériences dans ces deux domaines. Nous l’avons rencontré après une projection-test de son long métrage.

Laurier, votre film, Low Notes vient d’être projeté en « projo-test » au centre Culturel Jacques Frank, à St-Gilles. Pourquoi ce titre ?

A l’origine, cela faisait référence aux notes graves du violoncelle, auxquelles Leon devient ultra-sensible à mesure qu’il est gagné par la mélancolie. D’emblée la consigne était donnée à mon compositeur instrumental, Oliver Patrice Weder, d’écrire les thèmes pour violoncelle dans le bas de sa tessiture. Ensuite, pendant le montage son et le mixage, un autre aspect s’est ajouté, lié au caractère « sombre », introverti de Léon : lorsque des évènements viennent lui rappeler Eva, son ancienne copine, des hurlements graves semblent s’arracher de ses entrailles pour envahir tout l’espace sonore. Avec Antoine Leroy, l’autre compositeur, puis Enzo Tibi pendant le montage son, on les appelait aussi les « low notes ». Elles mélangent aussi bien des sons existants, comme des infrabasses d’avalanches, que des sons « musicaux » créés pour le film. Enzo puis Hélène Clec-Denizot (la mixeuse) ont particulièrement travaillé ces séquences qui donnent une grande importance au son.

Un élément important du film est la voix off. Elle n’était probablement pas prévue au départ, mais elle habite tout ce premier long métrage.

Lorsque l’on s’essaye à la voix off, on s’expose souvent au risque d’utiliser « une arme de simplicité », comme pour compenser des déficits de mise en scène. Ici, le film ayant d’abord été écrit sans voix off, il fonctionne structurellement sans et a d’ailleurs fait l’objet d’une première version de montage tel quel. J’avais donc l’impression en rajoutant la voix off que je ne tombais pas dans ce piège de l’outil « explicatif ». Au contraire, la voix off dit parfois des choses très anecdotiques et qui a priori ne participent pas à l’intrigue principale. En tout cas, les intentions étaient de déplacer un peu le regard vers tous les « à côté » du récit et d’intriquer complètement l’histoire de Leon avec son exploration de Los Angeles, qui devient personnage. Cela rajoute une autre couche à l’histoire, qui nous permet d’accéder de l’intérieur à l’affect du personnage et de suivre son évolution comme dans une sorte de journal de bord. En tout cas, je n’imagine plus le film sans !

Un autre élément important, la musique, classique notamment…

La musique a toujours tenu une place importante dans ma famille, je suis moi-même musicien, et, consciemment ou non, mes films donnent pour l’instant toujours un rôle important à la musique et plus largement au son. Leon, le personnage principal est de plus en plus froid et commence à se renfermer sur lui-même. C’est difficile de travailler un personnage comme celui-là, qui relèverait plutôt de l’antihéros. Sa sensibilité au violoncelle fait partie des choses qui lui donnent de l’épaisseur, le rendent plus complexe. En même temps, comme il sort beaucoup et arpente Los Angeles de fête en fête, un deuxième répertoire de musique prédomine dans le film : la musique électronique. Le film est habité par ces deux répertoires que l’on n’associe pas habituellement, et qui a d’ailleurs a réuni deux compositeurs différents (et deux autres musiciens additionnels). Jusqu’à ce que ces deux mondes s’entrechoquent et fusionnent...

Un troisième élément, que vous avez mis en scène à Bruxelles, mais filmé à Los Angeles, ce sont ces acteurs qui se présentent, comme s’il y avait une théâtralisation, une mise en exergue, d’un personnage portant une feuille de papier avec son prénom, de face, puis de côté. Ce pourrait être un « tic », mais donne un genre à votre film !

C’est un type de séquence qui est au croisement de plusieurs intentions de ma part. Pendant le tournage, on les appelait des « Mug Shots », la dénomination pour parler des photos d’identité judiciaire de type « prison », avec face et profil. Puisque j’utilise ce dispositif dans un décor déjà très chargé symboliquement, on m’a souvent dit que cela faisait penser au dispositif du casting. Cette idée m’a beaucoup plu, comme si c’était une sorte de mise en abîme de leur propre casting. Derrière ces plans-là, il y avait aussi l’idée que l’on pouvait à tout moment « mettre pause » sur l’intrigue principale pour donner un coup de projecteur sur n’importe quel personnage dit « secondaire », et suivre sa propre histoire dont il est le héros. Cela va jusqu’à un « Mugshot » d’un personnage que l’on ne « rencontre » même pas en personne dans le film.

J’avais l’impression, comme critique, que le quatrième mur était brisé. Comme si l’acteur nous disait « je ne suis pas important, mais je fais partie de cette histoire, je te vois, tu me vois, toi » !

Oui, il y a une adresse au spectateur, un « regard caméra » qui brise le « quatrième mur ». On m’a aussi dit plusieurs fois qu’un même personnage ne se ressemble pas toujours entre sa scène et son « Mugshot », soulignant d’autant plus le contraste entre les deux registres d’image et les deux temporalités. Cela me semblait très intéressant comme retour. J’ai beaucoup avancé dans le montage en prenant en compte les retours que je récolte lors de visions tests. Lorsque plusieurs ressentis convergent sur un point, et à plus forte raison lorsqu’ils viennent de personnes de sensibilité très différente, même si cela ne va pas dans le sens de nos intentions initiales, il faut savoir écouter, le prendre en charge. Même si cela suppose de faire le deuil de certaines idées qui « ne marchent pas ». Je pense qu’il faut avoir la lucidité d’accepter que le sens des images et des sons ne nous appartient plus vraiment lorsque le film existe et surtout qu’il est confronté à un public.

Un autre réalisateur belge, Stéphane Hénocque, a aussi réalisé « Nous quatre », un film avec très peu de moyens dont la réussite n’était pas assurée et qui a récemment eu un succès dans les salles…

Oui, et je l’ai rencontré et il était d’ailleurs présent ce soir dans la salle. Nos films ont beaucoup de similitudes dans la fabrication tout en étant très différents dans le résultat. C’était très intéressant de discuter avec lui de nos deux expériences parallèles et le parcours de son film est très impressionnant. Bien sûr, j’espère que mon film aussi accèdera à une sortie en salle en Belgique. Et depuis le départ, je rêve dans un coin de ma tête d’une carrière du film en festivals de cinéma, en Belgique notamment, mais ailleurs aussi. L’important et qu’un film rencontre son public. Stéphane m’a présenté également son producteur... tout est possible et tout reste à faire pour Low Notes !

A l’image de Xavier Dolan, vous êtes réalisateur, scénariste, monteur, chef opérateur, producteur ?

C’est souvent le cas sur les premiers longs-métrages réalisés en indépendant et avec un faible budget, que le réalisateur occupe plusieurs postes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas uniquement dû à la contrainte économique que j’ai fait ce choix en ce qui concerne les postes techniques. Ce n’est pas non plus parce que j’étais réticent à l’idée de lâcher prise sur mon « bébé », comme on le sent parfois dans certains films. En fait je suis aussi monteur et cadreur, je travaille aussi sur les films d’autres réalisateurs et j’aimerais beaucoup continuer à le faire. J’ai étudié en école de cinéma dans chacun de ces domaines. Je ne suis d’ailleurs pas forcément défenseur de l’idée selon laquelle on est le mieux placé, en tant que réalisateur, pour monter ou faire l’image de son film. En fait dans le cas de Low Notes l’idée était de me donner à moi-même l’occasion de faire un premier long dans les divers postes qui me passionnent. Quand tu finis tes études et que tu as face à toi la longue route de la hiérarchie du cinéma, tu te rends bien compte que personne ne viendra sonner à ta porte pour te dire : « tu n’as pas grand-chose à me montrer, mais je te prends pour faire un premier long métrage, j’ai un bon feeling avec toi  ». Je pense que cette espèce de contradiction selon laquelle la jeunesse n’a jamais assez d’expérience pour faire ceci ou cela, mais qu’en même temps tout est fait pour lui rendre l’accès difficile aux opportunités qui justement forgeraient cette expérience, déborde largement le milieu du cinéma et reflète une des dures réalités du monde du travail aujourd’hui. J’ai donc tout simplement voulu commencer par faire, par expérimenter, par aboutir une idée de film avec une certaine immédiateté sans passer par des années de développement dans les circuits classiques, quitte à me planter. J’ai pris une sorte de raccourci, et quoi qu’il advienne de Low Notes, j’aurais énormément appris.



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