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CINECURE
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Il y a six ans : The Tree of Life ! (II)
Article mis en ligne le 20 avril 2017

par Charles De Clercq

Il y aura bientôt six ans que j’ai vu L’arbre de vie (voir cet article). C’était, (à ma grande honte ?), mon premier Malick. Je me suis largement rattrapé depuis avec, le lendemain de la vision de ce qui n’était pas encore la Palme d’or de Cannes, La ligne rouge et ensuite La ballade sauvage, Les moisson du ciel et Le nouveau monde.

Des membres d’un forum cinéphile ont sollicité mon point de vue « religieux », comme prêtre. Voici donc ce que j’avais écrit quelques semaines après avoir vu le film.

  Une fausse piste

Dès la première seconde, une citation du livre de Job ! Celle-ci ne pouvait manquer de titiller le ’bibliste’ que je suis (à tel point que certains catholiques traditionalistes m’accusent d’être trop protestant). Où étais-tu ? J’étais immédiatement renvoyé à un ordre cosmique où les uns et les autres, les choses et les humains, les passions, les pulsions, le bien et le mal sont mis à l’aune d’un ordre qui transcende l’être humain. Où ils sont quasi incommensurables, à savoir qu’ils n’ont pas de commune mesure, si ce n’est qu’ils seraient de la main de « Dieu ».

Il y avait déjà le titre « L’arbre de vie » qui (m’)interrogeait. Je ne pouvais manquer de faire le lien avec les deux arbres du jardin d’Eden. Mes cours m’avaient appris que l’exégèse fine du texte peut monter qu’il n’y avait, à l’origine du récit qu’un seul arbre et que c’est au cours de l’évolution rédactionnelle que les arbres se sont doublés : arbre de la connaissance du bien et du mal et arbre de la vie (entendu ici : qui rend comme des « dieux » et fait que l’on ne mourra pas). Etait-ce de cet arbre dont voulait parler Malick ?

J’ai eu, au début des mots assez forts, critiques même par rapport au caractère « religieux » du film. Ce qui m’irritait était d’avoir compris la fin du film comme une affirmation en réponse à l’angoisse de nous savoir mortels : « ben, ne nous inquiétons pas, il y a une vie après la mort  », symbolisée ici par les images sur la plage, au fil des vagues.

On pourra me rétorquer, probablement à juste titre, que c’est le discours de l’Eglise à laquelle j’appartiens. Certes mais je dois avouer que je suis en porte à faux par rapport à certains discours. Une certaine lecture de l’évangile attribué à Jean montre que la « vie éternelle » c’est ici et maintenant (ou en langage biblico-théologique : « la vie éternelle est de connaître le Christ »). Si je veux bien croire en la résurrection, ce n’est qu’en tant qu’objective et pas subjective (autrement dit : mon « moi » n’en sera pas conscient, même s’il est « vivant » dans le cœur de Dieu. J’ai bien conscience que tout cela est du charabia et je pense que c’est une des raisons qui me faisait sans cesse postposer une intervention « religieuse » sur le forum).

Cette lecture était due en grande partie au fait que je n’avais pas perçu toute la structure du film, la façon dont il était construit. Après tout, je suis né avant le « nouveau roman » et formé à une lecture narrative « traditionnelle ». De même, en musique, il me faut faire un effort supplémentaire pour entrer dans la musique du trio de Vienne (Berg, Webern, Schoenberg) ; plus en tout cas que pour Bach, Beethoven ou Mozart !

Pour le moment je fais « comme si » Jack, se remémorant la mort de son frère avait des « flashes » qui lui permettent d’explorer son passé, d’une part, et d’intégrer sa réflexion dans une dynamique divine et cosmique en lien avec la Nature et les questions du bien ou du mal. Un peu « comme si » dans les dernières images, avant celles du pont, Jack, sortant d’une tour émergeait d’un rêve semi-éveillé.

C’est donc à nouveaux frais que j’ai revu, reçu et perçu le film : comme un discours fondamentalement « religieux ».

 Relire le livre de Job !

Il y a probablement plusieurs pistes dans le film, la question des échelles, par exemple. Evoque-t-elle comme on l’a écrit l’échelle de Jacob ? peut-être ! Ici, je reçois le film en tant qu’il échappe (comme toute création - je découvre un double-sens en l’écrivant !) à son auteur. Peu importe - même si c’est important ! - donc ce que Malick a voulu faire, partager, y mettre. Je reçois le film et j’y lis une « topologie classique » : « Tu vois, c’est là que Dieu habite ». Je prends donc l’exergue comme fondamental : Job 38, 4.7

Il s’agit là du premier « plan » du film, comme sa clé de voute. Or le chapitre 38 est le premier et seul débat de YHWH avec Job [Job dont le signifie probablement « où est père » (*ayya-abum)].


Cliquer pour lire l’approche biblique

Les exégètes sont en débat par rapport à la composition du livre. Celui-ci n’a probablement pas un auteur unique et l’histoire de sa composition est complexe. Il daterait du 5e ou 6e siècle avant l’ère courante. On s’accorde à y reconnaître qu’il pose la question du mal comme enjeu fondamental. Il le fait dans un texte en vers encadré par un prologue et un épilogue en prose. Dans le prologue, « le satan » (il ne s’agit pas d’une personnification du mal qui ne se fera qu’ultérieurement) demande à YHWH l’autorisation de tourmenter Job (cf. aussi le Faust de Goethe ou Méphistophélès rencontre Dieu et lui demande la permission de tenter Faust).

La structure de Job est la suivante :

* Prologue en prose : 1-2
** Complainte de Job 3
*** Débat entre Job et ses amis 4-27
**** débat 1 : 3-11 : Maudit soit le jour de ma naissance
**** débat 2 : 12-20 : Je ne suis pas moins sage que vous. Dieu fait et défait à sa guise
**** débat 3 : 21-27 : Les scélérats prospèrent et meurent heureux
*** Eloge de la sagesse : 28
** Complainte de Job 29-31
* Discours d’Elihou : 32-37
** Dialogue entre YHWH et Job 38-42, 6
* Epilogue en prose : 42, 7-17

Voir aussi comment 38,2 « quel est celui qui obscurcit mes plans par des propos dénués de sens ? » (avant la citation que fait Malick)
trouve son écho en 42, 2-3 : « Je sais que tu es tout-puissant, ce que tu conçois, tu peux le réaliser.
J’étais celui qui voile tes plans par des propos dénués de sens  ».


Le chapitre 38 est très intéressant.

  • En 38, 1 − 40, 2 YHWH dit qu’il est compétent pour créer ce qui est bon et ce qui échappe à la compréhension et à la mainmise de l’homme
  • En 40, 6-41 YHWH dit qu’il est compétent pour défendre sa création contre le chaos qui la menace
  • En 40, 1-6, Job renonce à la « théologie » tout en étant « consolé » (il y a un jeu de mots en hébreu).

A la fin du récit, Job devient plus riche et plus fécond qu’il ne l’était auparavant.

Job reprend une question assez universelle. Pourquoi la souffrance, le mal, la mort ? Pourquoi les salauds vivent dans le bonheur et les justes dans le malheur ? La mort/ne pas mourir est bien une (LA ?) question qui taraude l’être humain.

« Pourquoi ? Qu’ai-je fais à Dieu ? » sont des questions posées dans le film où Malick répond à sa manière (c’est-à-dire avec sa foi, ses codes, ses tics, ses clichés, sa fragilité et aussi son génie). Que l’on soit croyant ou pas importe peu. Il fait appel à un des trésors de notre littérature : le livre de Job. Poser la question à « Dieu » (peu importe qu’il ou que « cela » existe ; c’est un autre débat) est déjà signe de démesure : « mais pour qui l’être humain se prend-il pour croire que l’un quelconque de ses actes entraîne le courroux de celui qu’il pense et place comme « fondateur » ou créateur de l’univers ».

La réponse ne peut donc être que cosmique, comme dans le livre de Job. C’est aussi en ce sens que la liturgie pascale (la plus grande fête des chrétiens) débute - au moins dans la liturgie catholique - par le récit de la Création (le premier... mais le plus récent... qui est avant tout ‘cosmique’). Mais, dans la foulée, le récit, la narration doit aussi s’incarner et renvoyer au plus quotidien, à ce qui semble apparemment le plus futile.

Il m’arrive dans des prédications de funérailles de dire que lorsque l’on regarde sa vie on peu se demander « Qu’ai-je fait durant celle-ci ? Que puis-je en retenir ?  » Et la majorité du temps, ce sera « pas grand chose », la banalité des jours qui passent et qui se terminent sans que rien de transcendant ne soit à retenir.

C’est ce « quotidien », ces jours et ce temps qui passent que j’ai découvert dans The tree of life.

Le film aborde à plusieurs reprises la question de l’espoir et la dernière vision de Jack traduit probablement quelque chose de la foi et de l’espérance de Malick. C’était ce qui me dérangeait à première vision mais je suis aujourd’hui serein avec cela. Malick l’exprime si bien.

 Un film qui ravive des souvenirs en moi

J’avais écrit ci-dessus « triple écho ». Quelques mots donc de ce qu’en ont pensé un confrère et une religieuse camerounaise. Il y a eu un petit problème. Nous nous étions donné rendez-vous pour être largement à temps à la séance mais des travaux dans le métro bruxellois le lundi de Pentecôte les ont retardé. J’étais dans la salle en réservant les places... mais ils sont arrivés alors que le film était commencé depuis 3 minutes trente. Autant dire que c’est perdre une des clés du film.

Cependant, mon confrère, comme théologien a été sensible à l’aspect « religieux » et biblique du film et découvrant une thématique propre au protestantisme (historique, pas le courant évangélique) : la question du mal, de la culpabilité... tandis que la religieuse a plutôt été sensible à la beauté des images.

Quant à moi, outre l’aspect religieux que j’ai évoqué ci-avant, c’est à titre personnel que j’ai été touché, troublé. Me suis souvenu de certaines choses (mes parents ont été déchus de leurs droits et j’ai fait l’objet d’une mesure de placement comme mineur en danger) : par exemple que je me promenais dans les rues en regardant l’intérieur des maisons et me disant que j’aurais souhaité avoir de telles familles se réunissant autour de la table. Une fugue lorsque j’avais cassé une pièce du tracteur de mes parents. Ce chat que j’avais enfermé dans une cruche (il en est mort) lorsque j’étais enfant ; un autre chat que j’avais ébouillanté avec l’eau de cuisson des œufs à la coque (et j’ai fait un virage à 80 degrés en étant aujourd’hui très sensible à la question du respect des animaux et de la nature ; raison de plus d’être sensible aux films de Malick)... Mais aussi et surtout le jour où étant dans la cour de la ferme, près de la meule qui servait à aiguiser les faux, où j’avais demandé à mon frère (un an et demi de moins que moi qui en avait onze) de mettre son doigt entre les engrenages (complètement noyés dans de l’huile usagée noire pour le graissage). Je lui ai demandé «  Je peux tourner ? » Lui : « Je te fais confiance !  ». Et j’ai tourné !
On a dû l’hospitaliser. Au moment de sa mort prématurée en 2001, il avait toujours la dernière phalange de l’index deux fois plus large !

Je rapporte cela parce qu’il y a un lien avec un des plans du film de Malick et que je me ronge encore aujourd’hui d’avoir fait cela à mon petit frère.

Et donc pour cela et pour pas mal d’autres choses, on comprendra peut-être qu’il y avait une sorte d’exorcisme et de catharsis voire d’identification à Jack, en allant voir cinq fois le film en vingt jours !



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