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Nabil Ayouch
Casablanca Beats (Haut et Fort)
Sortie du film le 05 janvier 2022
Article mis en ligne le 9 janvier 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 101’

Acteurs : Anas Basbousi, Ismail Adouab, Meriem Nekkach, Nouhaila Arifz, Zineb Boujemaa...

Synopsis :
Anas, ancien rappeur, est engagé dans un centre culturel d’un quartier populaire de Casablanca. Encouragés par leur nouveau professeur, les jeunes vont tenter de se libérer du poids de certaines traditions pour vivre leur passion et s’exprimer à travers la culture hip hop...

La critique de Julien

« Casablanca Beats » est la première réalisation du cinéaste franco-marocain Nabil Ayouch a avoir été sélectionné en Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes. Mais c’est aussi le premier film marocain (hors documentaire) à concourir pour la Palme d’Or. Consacrés à des points sensibles de la société marocaine, ses films font l’objet d’une certaine méfiance et censure des autorités du pays, au regard de « Much Loved », où il était question du quotidien de prostituées dans les rues de Marrakech, lequel avait déclenché un véritable tôlé, et engendré des menaces de toutes parts, même envers ses actrices. Alors qu’il a coscénarisé le film « Adam » (2019) réalisé par sa compagne Maryam Touzani, laquelle est également actrice (dont dans ses films), Nabil Ayouch a récemment mis en scène « Razzia » (2017), lequel était une rencontre de cinq portraits marocains qui s’entremêlaient, et faisant écho d’un pays en perpétuelle tension. Très actif dans le domaine socio-culturel, Nabil Ayouch a notamment ouvert le Centre Culturel « Les étoiles de Sidi Moumen » en 2014, au travers de sa Fondation Ali Zaoua. Situé en périphérie de Casablanca, c’est dans ce quartier et dans ce premier centre ouvert (quatre autres ont vu le jour depuis) qu’il filme aujourd’hui une jeunesse en quête de parole, et cela au travers de la danse, et surtout la musique, et principalement du hip-hop.

Alors qu’il n’est pas un grand connaisseur de ce type de musique, le réalisateur y a pourtant vu une force politique avec laquelle tente de s’exprimer une jeunesse écrasée, étouffée. Et cette idée lui vient de son propre vécu, lui qui, ayant grandi à Paris à Sarcelles, a eu la chance de fréquenter une maison de jeunes, là où il a pu - avec ses copains d’époque - y trouver les mots, les gestes et l’espace pour se raconter, et écouter les autres. Nabil Ayouch offre alors une nouvelle visibilité à Sidi Moumen, située en banlieue de Casablanca, et dans lequel il avait déjà tourné. Il y filme alors des acteurs non-professionnels y jouer leur propre rôle, en commençant par Anas Basbousi, un animateur et ancien rappeur alors engagé dans ladite maison de jeunes, et proposant le programme « Positive School of Hip Hop » autour duquel des jeunes vont y trouver, par le rap, l’endroit où s’exprimer et transmettre des messages importants vis-à-vis de leur société, bien qu’ils soient universels. Après avoir longtemps donc observés Anas et ces jeunes, Nabil Ayouch s’est retrouvé dans leur relation, même si l’époque et le pays ne sont pas les mêmes. « Casablanca Beats » est donc né comme cela, par cette rencontre multiple, entre souvenirs et inspirations.

Réalisé sur une période de trois années, où il a tourné, monté, écrit, retourné, remonté, réécrit, s’offrant dès lors plus de liberté que sur n’importe quel autre de ses métrages, Nabil Ayouch construit ici un film profondément à l’écoute des personnages qui l’habitent. Et ce dont ici des jeunes, ayant soif d’être entendus, Anas leur en donnant ainsi la possibilité, semant dès lors en eux un esprit de liberté, que rien ne pourra éteindre, tout en n’oubliant pas leur réalité (ce qu’il montre notamment vis-à-vis du final). Le réalisateur y filme alors des échanges au travers desquels il y donne la parole aux jeunes, sur des sujets aussi variés qu’éclairant sur la société marocaine, tels que la place de la femme, la religion ou l’art et ses limites.

En accédant à l’intimité de ses personnages par la musique, le montage permet d’alterner avec le quotidien de ces derniers, qu’il présente presque à tour de rôle, le spectateur apprenant ainsi à les connaître, à se rapprocher d’eux, et dès lors à comprendre leurs motivations à exprimer d’une part, ce qu’ils ont sur le cœur, et d’autre part leur rage. Enfin, le film de Nabil Ayouch nous parle aussi en sous-texte de l’importance de l’enseignement, qui n’est pas là uniquement pour apprendre à « faire », mais également pour « refaire », ainsi que de la transmission, et les portes qu’elle peut ouvrir.

Alors que danser et chanter est religieusement considéré au Maroc comme un péché, étant donné qu’il y est question de mélange entre filles et les garçons, « Casablanca Beats » est un film quasi-documentaire, à la mise en scène dynamique mais discontinue, qui pourrait également désarçonner le spectateur qui n’est pas un grand friand de hip-hop, même si les propos ici entendus et défendus transcendent ce genre musical.



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