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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

François Ozon
Grâce à Dieu
Sortie le 3 avril 2019
Article mis en ligne le 24 mars 2019

par Charles De Clercq

Synopsis : Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.

Acteurs : Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Josiane Balasko, Hélène Vincent, Frédéric Pierrot, Eric Caravaca.

Lien vers les interviews audio de Swann Arlaud.

Grand prix du jury lors de la Berlinale 2019

Avertissement : Pour débuter, il faut signaler que face à une telle œuvre [dont les qualités de réalisation sont indéniables ; les interprètes, quels qu’ils soient, remarquables de « vérité » ; dans un film sublimé tout en subtilité par les images de Manu Dacosse...] le critique cinéma doit céder la place, humainement et même professionnellement, car il ne peut faire abstraction d’une autre identité, singulière, puisqu’il se trouve être prêtre catholique. Cette identité-là prendra dès lors très largement le dessus devant l’autre qui s’effacera pour laisser place à une écriture très personnelle qui se voudra porte-voix d’une autre, celle qui habite Grâce à Dieu : et vise à libérer la parole pour les victimes.

Pour ce qui est de l’aspect critique proprement dit, je renverrai donc à celle de Valérie de Marnhac qui assure la critique cinéma du mercredi sur RCF France [1].

Pour faciliter la lecture de cet article très long, chacune des sections s’ouvre en cliquant sur son nom et se ferme lorsque l’on clique sur la suivante (ou une autre).

Film vu en vision presse le 22 mars 2019 !

« Je » est prêtre !

D’emblée, cet article sera rédigé en « je », parce que ce « je » est prêtre catholique, qu’il ne l’a pas toujours été, car il fut auparavant officier de police judiciaire dans un corps d’élite du Royaume de Belgique et qu’il a tout laissé tomber pour se mettre au service de Dieu, certes, mais aussi, voire avant tout, d’une institution dont il voyait la noblesse et pas (encore) les fragilités (moins encore le pire qui éclaterait plus tard, et jetterait l’opprobre sur ceux qui exercent le même « métier » que lui !). Un prêtre qui est aussi membre d’un des services « Communication » de cette Institution et, depuis 2011, producteur des émissions cinéma pour la radio chrétienne francophone à Bruxelles (RCF). C’est à ce titre qu’il a assisté à la projection presse du dernier film de François Ozon (un cinéaste qu’il apprécie). Un vendredi de Carême, ce 22 mars 2019. Un jour où il aurait dû se trouver avec d’autres victimes des attentats du 22 mars 2016 (à l’aéroport de Zaventem et à la station de Métro de Maelbeek) pour une journée d’hommage et de mémoire. Un homme, un prêtre, une des victimes (bien moins atteinte que d’autres) qui ne voulait pas, ce jour-là ressasser le passé et (re)vivre de mauvais souvenirs.

« Je » parle en son nom !

C’est lourd de cela, qu’il a assisté à la projection presse de ce Grâce à Dieu qui sortira en Belgique bien après la France (le 3/4) afin de pouvoir réaliser en connaissance de cause l’interview de Swann Arlaud, l’un des acteurs principaux du film. Ici, le journaliste ne peut se défaire du prêtre et vice-versa (en revanche, il peut mettre en sourdine sa dimension « critique » pour réagir de façon personnelle au film qu’il a vu). Et il s’agit bien de sa réaction, avec ses tripes, ses affects sans qu’aucune indication ou directive lui soit donnée par l’Institution ecclésiale ou la radio RCF. Ceci est donc précisé pour comprendre et circonscrire le « je » qui écris ici, gros de ses émotions (comme peut l’être une femme qui porte un enfant) !

J’ai vu un film bouleversant qui donnait parfois l’impression d’avoir une dimension documentaire. Un film qui m’a amené à plusieurs reprises les larmes aux yeux, mais aussi une réaction de déni ! Non pas de déni des faits qui font l’objet du film, mais de certaines réactions et attitudes de protagonistes ecclésiaux, où mon corps, ma tête, mon esprit voulaient crier « NON » alors même qu’il n’y avait rien de neuf dans ce qui suscitait ce rejet et cette contestation sur lesquels je reviendrai plus loin.

Je suis interpellé !

Après la projection plusieurs consoeurs et confrères m’interpellèrent, sachant que j’étais prêtre catholique. Une projection de presse suivait, mais j’ai préféré entendre les questions qui venaient à moi, légitimes au vu de la singularité de ma profession ! Voici quelques-unes de ces questions/remarques : « C’est un procès à charge ». « Il aurait fallu attendre ». « L’on n’entend qu’un seul son de cloche ». « Qu’est-ce qui prouve qu’il s’agit de la réalité puisque c’est d’après une histoire vraie ? ». « Qu’en est-il de la présomption d’innocence ? ». « Souvenez-vous de l’affaire d’Outreau ». « est-ce qu’il n’y a pas confusion entre homosexualité et pédophilie ? » « Est-ce que tu as couvert des cas de pédophilie ou eu connaissance de certains ? ». Surtout : « comme prêtre, ne dois-tu pas inviter au pardon ? ». Et, « comme ancien policier que penses-tu de la validité d’un témoignage ? » Et encore, « comment se fait-il que tu n’aies pas d’interview de François Ozon, car si ton média n’est pas national, tu as la particularité d’être journaliste ET prêtre ? »

Il ne s’agira pas de reprendre mes réponses dans les lignes qui suivent, mais ces échanges me serviront de fil conducteur d’une réflexion que je poursuis dans les prochaines lignes.

Qu’ai-je vu ?

Ou, plutôt, que n’ai-je pas vu ? Certainement pas un procès à charge. Pas non plus une enquête à la façon de Spotlight (même si c’est un mal identique qui est dénoncé) ! Pas un documentaire même si le début du film donne cette impression en utilisant la voix off à plusieurs reprises. Non pas cette voix qui surcharge certains films pour faire comprendre l’action au spectateur. Mais une voix qui reprend des mots qui furent écrits par les personnes concernées (et je crois que là, il y a coïncidence entre vérité de la voix et la réalité du verbe) et qui inscrivent ceux-ci dans une souffrance qui prend racine tellement loin dans le passé et qui, aujourd’hui encore laisse des traces indélébiles et des fautes impardonnables (Et sur ce pardon, justement, il me faudra revenir, car la question est posée durant le film). J’ai vu trois hommes blessés, meurtris. Le regard d’Ozon porte souvent sur des femmes qu’il met en lumière de très belle façon. Ici, son regard porte sur trois hommes différents, grâce à trois portraits successifs.

Trois hommes...

Le premier homme, Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), catholique fervent, membre d’une famille unie. Il est celui dont les décisions se prennent avec la tête (c’est caricatural de l’écrire ainsi). Il peut initier un mouvement. Il peut « agir » au où l’entend Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne (1958). Alexandre est l’homo agissans : en inaugurant quelque chose qu’il ne maîtrise pas encore, en se mettant à parler, chercher, interroger, il « agit » (et l’on n’oubliera pas que pour la philosophe, l’action à deux caractéristiques ; l’imprévisibilité et l’irréversibilité. A savoir que quand on a commencé quelque chose dans le domaine de l’action l’on n’en connait pas les conséquences, d’une part, et qu’il est impossible de faire machine arrière. Plus important encore, que les « remèdes » en sont les traités d’alliance, pour l’imprévisibilité, et, ceci est important ici : « le pardon »... inventé par Jésus de Nazareth, pour l’irréversibilité).

Le deuxième homme, c’est François Debord (Denis Ménochet, tout en douceur par rapport à celui que l’on a découvert dans Jusqu’à la garde, mais...) force à la fois brute et tranquille, qui sait ce qu’il veut et ne désire pas effacer le passé. Aller de l’avant sera pour lui (et pour ceux qu’il veut associer à sa démarche) non pas tant régler des comptes avec le passé, mais rendre compte de celui-ci pour amener à la lumière ce qui était caché (volontairement ?).

Le troisième homme apparait après une heure trente environ. Il s’agit d’Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud dont le César du meilleur acteur pour Petit Paysan est mérité, un film qui nous l’a révélé). Ce troisième homme est fragile, le corps tordu (et probablement pas seulement symboliquement) par les abus qu’il a subis. Sa souffrance est intérieure et cependant elle s’exprime et s’extériorise, hors de son corps, notamment par des crises d’épilepsie. Chez lui, ce n’est pas la tête qui parle, ce n’est pas la force maitrisée du corps, mais bien les viscères, les tripes qui sont remuées (comme le verbe utilisé dans l’évangile pour dire que Jésus est pris de pitié : il est pris dans ses entrailles !).

...un prêtre, un cardinal (et les autres) !

La fiche Wikipedia apprend que les personnages ne portent pas le nom réel des véritables protagonistes. En revanche les deux suivants portent leur véritable nom. Le quatrième homme, ce n’est pas le film de Paul Verhoeven, mais c’est le père Bernard Preynat (Bernard Verley excelle dans un rôle pas facile ou évident à endosser) septuagénaire. Il est aussi interprété par Yves-Marie Bastien lors de quelques flashbacks qui le montrent lors de sa jeunesse, notamment dans les camps scouts. Il reconnait ce qui lui est reproché, y voit certes un mal et plus encore une maladie sans y voir cependant malice, et implorant le pardon, comme si la grâce divine allait effacer le passé (et, « grâce à Dieu » ! le prêtre n’évoque pas Satan !).

Face au prêtre pédophile, le cardinal Barbarin (qui n’aime pas ce mot, ambigu selon lui - et j’y reviendrai - il préfère « pédosexuel »), mais aussi face aux victimes et, in fine, à la justice. Homme d’Eglise, efficace, mais ne semblant pas prendre la mesure de ce qui s’est joué quelques décennies auparavant : les abus, les couvertures de ces abus, le déni, les « solutions » du problème (au sens ici de dissolution). Il n’entend pas ou ne semble pas entendre les cris des victimes et, possiblement à son corps défendant, comme par un réflexe de gardien du temple divin ou sacré, il ne veut pas que l’institution ecclésiale soit la victime (émissaire ?).

Plusieurs femmes jouent un rôle important : Régine Maire (Martine Erhel), bénévole au diocèse qui sera également médiatrice, notamment entre le père Preynat et Alexandre. Odile (Hélène Vincent), la mère de François Debort ou encore, Irène (étonnante Josiane Balasko dans un rôle quasiment à contre-emploi), la mère d’Emmanuel.

Il faut ajouter que les acteurs et actrices arrivent à s’effacer pour laisser place aux personnages qu’ils incarnent. L’on se dira ici que certains d’entre eux ne sont pas totalement, pas véritablement, ceux et celles de la vraie vie. Cet aspect « fictif » est pour certains, occasion de douter, de relativiser. Plutôt que de fiction, je préfère parler de (re)construction !

Vérité / réalité / (re)construction

Des noms réels et des noms fictifs ! Pourquoi ? Quel est l’intérêt de mêler le vrai du faux ? Il y a possiblement des questions juridiques, mais ce ne peut pas être la seule explication puisque des protagonistes dont l’issue du jugement est en suspens sont nommés. « Grâce à Dieu » c’est avant tout l’histoire d’une naissance, celle d’une association. Le cœur de l’intrigue ou plutôt du récit, en images et en voix multiples réside là. Non pas un procès à une institution ecclésiale. Mais la quête des premiers balbutiements d’hommes qui veulent parler. Et la première parole est, d’une certaine façon un « non » (un peu comme je vois symboliquement les récits de la Création dans les religions bibliques, comme un « non de Dieu » au chaos, pour faire advenir un univers). Ici, ce « non » commence par un refus de voir un prêtre pédophile et abuseur toujours en charge et toujours proche d’enfants. Comment ce non-là va retrouver le « non » d’autres qui subirent les mêmes sévices sexuels, et, dans la foulée, s’entendre répondre un « non » par des proches, un frère, un père, des prêtres qui refusent que « l’on remue la merde » pour quelque chose qui n’est que du passé ! Si Ozon crée, modifie, adapte des personnages et des événements ou en bouleverse éventuellement la temporalité, c’est tout d’abord un travail de (re)construction d’un récit, à la fois pour correspondre à un genre cinématographique et pour dire, crier une « vérité » qui n’est pas à confondre avec la « réalité ». Car fictif/fiction ne veut pas dire faux. Il en est de même avec les récits bibliques, dont les évangiles ! Ce n’est pas parce que des personnages comme Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Moïse, David... sont « littéraires » et « théologiques », ce n’est pas parce que tous les événements racontés n’ont pas une « réalité matérielle » qu’il ne s’agit pas de la « Vérité » pour ceux qui y adhèrent. Il en est de même dans ce film qui nous montre la libération de la parole à l’œuvre.

Protéger - Relativiser - Nier

Si la parole se libère ou tente de se libérer, c’est parce qu’il y a un « non » des victimes. Mais face à elle, il y a donc un autre non. Il y a certes l’Institution ecclésiale qui cherche avant tout à se protéger. La lapsus du cardinal Barbarin (les faits sont prescrits, grâce à Dieu) donne son nom au film. Et cette volonté consciente ou pas de ne pas nuire à l’Institution parce que l’on croit (peut-être sincèrement) qu’elle est de droit divin, voulue par Dieu et créée par son Fils lors de son dernier repas (et comme disent certains par ironie, j’espère : lors d’une messe en latin, le dos tourné aux apôtres) est une quasi constante aux quatre coins du monde où elle s’est déployée et installée. Ce non est fort : l’on ne veut pas voir, pas entendre. L’on étouffera parfois, relativisera souvent et la plupart du temps les solutions sont désastreuses ou malsaines. Il n’y a pas que l’institution : il y a les fidèles, souvent enfermés malgré eux dans des modèles dévotionnels (souvent proches du paganisme), qui ne veulent rien entendre et que l’on ne remette surtout pas en cause le sacré (et donc coupé du monde) de l’Eglise. Et enfin, le non, le refus, la négation, le rejet viennent des plus proches : frères, soeurs, parents qui invitent à tourner la page sur ces histoires d’enfants : « tu veux te mettre en valeur » ; « tu dénigres ton frère », « c’est du passé », « non, l’abbé ne ferait jamais de telles choses »... Dans le récit éminemment symbolique de la libération du peuple en esclavage, il y a cette parole attribuée à Dieu : « J’ai entendu les cris de mon peuple » ! Qu’en est-il lorsqu’une institution qui se revendique de parler au nom de ce Dieu-là n’entend pas les cris de ceux qui furent des enfants abusés ?

De l’enfant à la parole (libérée)

J’entends des voix, dans le film, qui interrogent en substance : « pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de parler ? » Pour ceux (celles aussi bien sûr, mais statistiquement plus rares dans le cas de pédophilie par des ecclésiastiques célibataires) qui ont été abusés, il faudra beaucoup de temps pour accéder à la parole. L’enfant est, littéralement, le « sans paroles » (in-fans) ! Et, sans compétence médicale ou psychologique, je vois plutôt, dans l’ordre du symbolique que la blessure, la meurtrissure, les fêlures bloquent la victime dans son statut d’enfant. Son corps croit, grandit, passe de l’adolescence à l’âge adulte, mais la parole est impossible. Emprisonnés dans un cœur qui ne peut plus s’ouvrir (et, dans certains cas, reproduire de tels comportements sur d’autres !) les mots ne viennent pas aux lèvres tandis que les maux hantent constamment l’être au plus profond. Il faut donc du temps et cela se compte en dizaines d’années parfois pour que la parole se libère. Un ici et maintenant : une rencontre, un événement, un traumatisme, vont débloquer l’accès au langage. L’adulte certes parlait, mais cette parole libératrice n’accédait pas au langage. Et parce que cela prend du temps, il était important d’allonger le temps de prescription et de le faire démarrer à partir de l’âge adulte. Et parce que plusieurs ont pu ouvrir leurs lèvres pour que les mots puissent sortir et être criés... d’autres ont pu entendre à leur tour et laisser sortir les mots bloqués depuis des années. D’in-fans, ils deviennent des parlants. Leur parole est libérée. Une association peut naître !

Mes dénis !

Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’étouffer un « non » durant la projection. Il s’agit souvent d’attitudes, de mots, d’expressions dans lesquelles je me sens mal à l’aise ou qui m’amènent à faire des liens avec des questions posées par des fidèles, des amis, croyants ou pas, des lectures, des réactions sur les réseaux sociaux.

Ainsi lorsque l’on invite la victime et le bourreau à prier ensemble un Pater et un Ave (comme on dit) je veux crier « NON ». Je ne puis accepter ce qui est ici récupération par la prière, comme si cela allait arranger les choses. Comme si l’on pouvait atténuer, étouffer et finalement passer l’éponge. Ce serait un analogue - tout aussi pervers - à l’imputation de ces abus à « satan ». De grâce, ne mêlons pas Dieu à cela. C’est une responsabilité humaine de la part de l’abuseur/violeur et quand bien même celui-ci aurait des circonstances atténuantes pour avoir été abusé durant son enfance, le mal est en celui qui ne réagit pas, atténue, minimise et cherche des solutions visant à ne pas faire scandale !

C’est aussi lorsque le cardinal dit qu’il n’aime pas le mot « pédophile » car il s’agit d’aimer les enfants (et qu’il préfère... et on le voit mal à l’aise : « pédosexuel »). Me vient à l’esprit une conversation où l’on faisait état de la focalisation de l’Eglise catholique sur les enfants et les jeunes. Quelqu’un signalant que l’investissement était énorme au vu des maigres résultats alors que dès ses débuts cette religion-là était une affaire d’adultes et pas d’enfants ! Ajoutant qu’il y voyait de la « pédophilie spirituelle ». Un curé réagissant alors « si vous employez encore ce mot, je quitte la réunion » !

Ou encore quand le même cardinal fait état d’homosexualité et de pédophilie. Un journaliste lui fait remarquer que ce n’est pas la même chose ce à quoi il répond qu’il sait, mais que « maintenant on parle de cela ». Comment ne pas penser au dernier livre de Frédéric Martel (SODOMA ma critique ici) qui insiste bien sur le fait qu’il ne faut pas confondre, mais montre combien le nombre de clercs homosexuels ou homophiles est important à tous les échelons de l’institution (jusque 80%, chiffre déjà avancé en 2002 par Donald Cozzens dans Le nouveau visage des prêtres. Réflexions sur la crise intérieure du prêtre aux Etats-Unis d’Amérique). Et de mettre en exergue, non pas l’homosexualité chez les clercs, secret de polichinelle, mais l’hypocrisie d’une institution totalement homophobe. Comment ne pas songer alors à ces catholiques qui ont manifesté la bave aux lèvres et la rage au cœur contre « le mariage pour tous » ? Comment ne pas penser aux discours contre la procréation médicalement assistée alors que le problème essentiel serait de reconnaître la licéité de la masturbation ? Comment ne pas penser à la façon dont l’Institution ecclésiale voit la sexualité hors du mariage ou non procréatrice ? Et justement, pendant combien de temps va-t-on promouvoir le diktat biblique de croître, multiplier, emplir la Terre et la dominer alors même que nous sommes devenus une espèce envahissante qui nuisons à notre planète de plus en plus dévastée ? Et tout cela pour refuser que l’exercice de la sexualité puisse avoir pour but le seul plaisir et pas la procréation !

Pourquoi pas, mais quelle incohérence, quelle hypocrisie dit-on autour de moi, même dans des groupes paroissiaux où les questions précédentes sont posées, évoquées. A contrario de la parole libérée, le proverbe « la parole est d’argent et le silence est d’or » serait de mise lorsqu’il s’agit d’imposer une morale sexuelle et de gérer les comportements, me dit-on ! En revanche, il faut écouter les victimes, quelle que soit l’époque où les abus ont été commis. Il faut parler pour dénoncer à temps et à contretemps les abus. Il faut agir, prendre des mesures pour tenter de réparer, pour empêcher que les choses se reproduisent, pour sanctionner, transmettre à la justice qui prendra les décisions adéquates.

Pardon impossible ou impossible pardon ?

Il est question à plusieurs reprises du pardon dans le film, pardon demandé, pardon refusé. S’agissant d’un élément essentiel du christianisme (dont la branche catholique en a fait un « sacrement » qui a évolué au cours des siècles), le prêtre que je suis ne pouvait évacuer cela. Les auteurs évangéliques mettent dans la bouche de Jésus une invitation radicale : pardonner à ceux qui nous ont offensés. Bien plus le pardon de Dieu serait condition à notre propre pardon entre nous. Et, bien plus, invitant à pardonner septante fois sept fois, Il se dit là quelque chose d’absolu qui dépasse donc quatre cent nonante ! Et comme la question m’a été posée, je vais tenter d’y répondre dans cette dernière partie d’un très (voire trop) long article.

Je reviens à Mme Arendt citée ci-dessus. Dans son étude sur l’action, l’auteur développe deux de ses caractéristiques : l’irréversibilité et l’imprévisibilité. Elle écrit ainsi : « contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du processus déclenché par l’action, le remède ne vient pas d’une autre faculté éventuellement supérieure, c’est l’une des virtualités de l’action elle-même. La rédemption possible de la situation d’irréversibilité - dans laquelle on ne peut défaire ce que l’on a fait (...) - c’est la faculté de pardonner. Contre l’imprévisibilité (...). Ces deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les »fautes« sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; l’autre (...) ».

Aussi dur cela soit-il, il paraît donc qu’une offense doit être pardonnée si l’on veut faire droit au « pouvoir » du pardon de briser le cercle de la violence. C’est en ce lieu que pourra se dire, d’une façon « dynamique » et promouvante : « je pardonne, mais je n’oublie pas » (je n’oublie pas... pour ne pas reproduire demain les mêmes fautes ou erreurs).

Que puis-je dire, ici, en ce lieu, face au pardon que doivent donc accorder les victimes à leurs bourreaux et que certaines ne peuvent ou veulent le faire ? La réponse se trouve dans une parole mise dans la bouche de Jésus dans l’évangile attribué à Jésus. Alors même qu’il a invité à temps et à contretemps à pardonner, A ce moment, dans un des récits, Jésus ne pardonne pas ! il en appelle à Dieu : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font »(Lc XXIII, 34). C’est peut-être là que se trouve la sortie d’une question qui peut être angoissante (du moins pour le croyant qui se sentirait obligé par son Dieu et/ou sa religion à pardonner). L’on se dira qu’ici les prédateurs savaient ce qu’ils faisaient. Certes, mais j’ouvre cette piste pour exprimer ici ce que j’entends. Qu’un non exprimé ou crié a permis d’accéder à la parole libérée, mais que celle-ci puisse dire et crier : « non, je ne pardonne pas » et ajouter, littéralement, à la grâce de Dieu !

Bande-annonce :

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Grâce à Dieu - de François Ozon - Bande-annonce - YouTube


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