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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Francis Lee
God’s Own Country (Seule la terre)
Sortie le 21 mars 2018
Article mis en ligne le 4 février 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Johnny travaille du matin au soir dans la ferme de ses parents, perdue dans le brouillard du Yorkshire. Il essaie d’oublier la frustration de son quotidien en se saoulant toutes les nuits au pub du village et en s’adonnant à des aventures sexuelles sans lendemain. Quand un saisonnier roumain vient travailler pour quelques semaines dans la ferme familiale, Johnny est traversé par des émotions qu’il n’avait jamais ressenties. Une relation intense naît entre les deux hommes, qui pourrait changer la vie de Johnny à jamais.

Acteurs : Josh O’Connor, Gemma Jones, Harry Lister Smith, Ian Hart, Alec Secareanu.

Le hasard des sorties fait que ce film sort en Belgique quelques semaines après Call Me Be Your Name, film dont l’un des fils conducteurs est aussi une histoire d’amour homosexuelle. Tous deux sont précédés d’une excellente réputation qu’ils ont acquise notamment dans certains festivals. God’s Own Country a été présenté dans les festivals suivants (avec parfois des prix à la clé) :

  • Festival de Sundance 2017, Prix de la mise en scène
  • Festival de Berlin 2017, Panorama
  • Festival du Film Britannique de Dinard 2017, Grand Prix du Jury, Prix Coup de Cœur
  • Festival de St Jean de Luz 2017, Meilleur réalisateur et Meilleur acteur

En résumé : Le réalisateur de God’s Own Country, fils de fermier, qui a quitté la campagne pour Londres, inscrit ses protagonistes dans le West Yorkshire. Il filme la naissance d’une histoire d’amour, ici homosexuelle (mais elle aurait pu être autre). L’amour de deux êtres que rien ne destinait à se rencontrer. Comment vivre l’amour à la ferme, dans l’isolement, lorsque l’important est le dur labeur à accomplir jour après jour et où il importe peu que l’on boive et avec qui l’on couche, du moment que le travail soit fait, que les animaux soient nourris et soignés ? Johnny, brut et brutal parfois, va s’épanouir peu à peu au contact d’un roumain, dans une campagne inhospitalière. Le film parfois très lent est une ode poétique à l’amour. Peut-être pas pour tous les yeux (si voir un agneau dépiauté et/ou deux hommes qui s’embrassent vous met mal à l’aise, mieux vaut passer votre chemin), le film répond à une question personnelle du réalisateur : « que ce serait-il passé si j’étais resté au sein de ma communauté, si j’avais exploité cette terre à mon tour et si j’y avais rencontré quelqu’un ? ».

 Une caméra plantée dans la terre

Nos parents étaient paysans et nous attendions donc le réalisateur au tournant. Tout comme Hubert Charuel avec Petit Paysan, Francis Lee, sait de quoi il parle. Fils de fermiers, il a voulu inscrire son film et ses acteurs dans le terreau. Le tournage qui s’est déroulé dans l’ordre chronologique du film, et dans des conditions climatiques naturelles (et donc aléatoires et changeantes) s’est fait dans une vraie ferme, à quelques minutes de celle de ses parents. Les acteurs Alec Secareanu et Josh O’Connor ont suivi un apprentissage intensif à la ferme durant plusieurs semaines pour leur permettre de vivre et découvrir sur le terrain, élevage, soins, agnelage, vêlage... Tout cela et en particulier cette préparation intensive en amont rejaillit sur le film, le bonifie et offre une œuvre viscérale, animale, sauvage qui va nous plonger dans une histoire d’amour, certes particulière, mais aussi universelle.

 Pas un remake de Brokeback Mountain !

A première vue, le film fait ou fera penser à Brokeback Mountain. Certains plans et scènes semblent des copier/coller. En réalité, s’il y a des ressemblances, les deux films sont totalement différents tant pour l’intrigue que pour le fil conducteur. Le film d’Ang Lee se situe en 1963 et traite d’une relation amoureuse homosexuelle qui se découvre presque par le hasard des circonstances et doit être cachée parce que totalement taboue à l’époque et tout particulièrement dans ce milieu... et qui amènera les protagonistes à se marier et fonder une famille. Ici, la question homosexuelle est seconde, voire secondaire même si elle est un fil conducteur du film dont le fond est justement le « fonds de terre », la ferme, les animaux, toutes choses qui sont là essentielles et se donnent à connaître dans trois générations de paysans : un père, sa mère, son fils. Dans un travail à la ferme où l’on ne prend pas de congé, parce qu’il faut être au boulot sept jours sur sept, malade ou pas, et où il n’y a pas d’autre issue que de poursuivre le travail de son père, Johnny ne peut vivre, survivre, qu’en noyant sa journée dans l’alcool... et en terminant la nuit pas du sexe sauvage, homosexuel. Sans que cette particularité soit mise en avant. C’est ainsi, sans que l’on se pose de questions. Et Johnny a des pulsions, qu’il ne contrôle pas nécessairement. C’est du sexe, brut, brutal, sans que sa particularité homosexuelle fasse problème, car « cela », c’est « lui », ni plus ni moins, sans étiquette pour nommer cela. Le corps parle et tout cela est fort animal. Sans sentiment, et lorsque celui qui a été possédé bestialement quelques minutes auparavant, dans un box de transport de bestiaux, vient demander « plus », soit une aventure à poursuivre alors qu’elle n’a jamais commencé, Johnny oppose un refus sans ambiguïté. Sans amour, ou faute d’amour - si nous osons - Johnny rentre à la ferme, dort, est malade, vomit. Et ainsi de suite. Son père, affaibli commande. Il y a du travail à la ferme. Et c’est par devoir que Johnny obéit, peut-être à contrecœur et il n’y a pas d’alternative, pas d’autre avenir. Enfermé là... devant porter le poids de son père...

 Le poids du père

Et c’est là peut-être qu’il faut voir d’autres références que Brokeback Moutain. Nous songeons ici à Boven is het stil où il est également question d’homosexualité à la ferme, mais sur fond justement d’un père malade à porter. Là non plus il n’y a pas quelque chose à cacher comme chez Ang Lee... peut-être à garder simplement dans les interstices du non dit voire, jouant à nouveau sur les mots, de l’inter-dit. Ces thèmes du père et du poids de la ferme existent ici chez Francis Lee associés intrinsèquement à une histoire d’amour. Gay, certes, mais d’amour d’abord et qui vient par surprise. C’est un étranger qui vient de Roumanie et qui ouvre de nouvelles perspectives à Johnny.

 Gheorghe à la ferme !

L’arrivée de Gheorghe Ionescu va bouleverser l’existence de Johnny. Professionnellement d’abord. C’est que Gheorghe est compétent et volontaire. Il connaît son métier et est bien plus motivé que Johnny. Il voit les failles et connaît les gestes qui sauvent. Il a de la tendresse pour les animaux là où Johnny ne voit que l’utile et l’obligatoire. Il doit ainsi euthanasier un petit veau dont la naissance s’est mal déroulée alors qu’il était au bistrot ou plutôt en train de « baiser ». Le film s’inscrit dans la nature qui en est une des composantes : faune et flore sont de la partie. Vie sauvage, mais aussi vie domestiquée. C’est le temps de l’agnelage, d’un agneau trop faible et d’un agneau mort. De ces deux-là, Gheorghe va s’occuper d’une façon très professionnelle. Occasion de signaler qu’il est des scènes dures, presque choquantes pour certains, peut-être plus que certaines plus « hard », de fusion des corps, puisque ces deux-là, pas les agneaux, mais Gheorghe et Johnny vont s’affronter dans un corps à corps, brutal d’abord, tendre ensuite, émouvant et amoureux à la fin. Ce sera le rapprochement des corps qui conduira à une autre rencontre, celle des cœurs. Johnny est brut de décoffrage et Josh O’Connor nous le fait apparaitre sous un jour nouveau. Nous le voyons s’épanouir peu à peu, ouvrant son cœur... La découverte que l’on peut passer du sexe à l’amour, un peu comme c’est le cas pour Théo et Hugo dans le film Théo et Hugo dans le même bateau (Attention : qui lui est un film avec du sexe explicite et non simulé et qui n’est pas pour tous publics et tous les yeux !). Mais Gheorghe et Johnny pourront-ils vivre dans le même bateau ?

 Reproduction ou transmission ?

En effet, vient ou viendra un jour où Gheorghe devra partir. Tout a une fin... même un père plus tout puissant qu’un AVC va conduire de la ferme à l’hôpital... L’on se rend compte alors que l’on va arriver à un happy end, que Gheorghe va rester pour toujours, que ce sera Gheorghe à la ferme... Mais le réalisateur nous réserve une surprise. Une altercation avec Gheorghe dans un café, non parce qu’il serait homo (tel n’est pas l’objet du film), mais, simplement, étranger, comme cela, quelqu’un que l’on traite d’une pichenette ! Mais celle-ci va déclencher quelque chose en cascade. Gheorghe rentrera au pays laissant Johnny désemparé. C’est avec beaucoup d’émotion que Francis Lee va gérer ce départ et cette perte. Comment Johnny va-t-il gérer celle-ci ? Comment vivra-t-il désormais à la ferme, avec son père et sa grand-mère ? Lui qui n’est pas appelé à avoir une descendance devra-t-il reproduire les gestes et les traditions de son père ? Ou bien, grâce à ce que Gheorghe lui a apporté et donné, pourra-t-il transmettre un autre héritage, celui où la vie est importante, l’amour partagé, essentiel, mais aussi un autre art de vivre à la ferme. Peut-être est-ce un des sens possibles des images d’archives d’un passé agricole que l’on découvre en fin du film dont nous vous laissons découvrir l’issue et la résolution !



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