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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Gary Ross
Free State of Jones
Sortie le 14 septembre 2016
Article mis en ligne le 21 août 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : La relation qu’il entretient avec une esclave pousse un homme à entrer en lutte contre les confédérés lors de la Guerre Civile américaine.
En pleine guerre de Sécession, Newton Knight, courageux fermier du Mississippi, prend la tête d’un groupe de modestes paysans blancs et d’esclaves en fuite pour se battre contre les États confédérés. Formant un régiment de rebelles indomptables, Knight et ses hommes ont l’avantage stratégique de connaître le terrain, même si leurs ennemis sont bien plus nombreux et beaucoup mieux armés… Résolument engagé contre l’injustice et l’exploitation humaine, l’intrépide fermier fonde le premier État d’hommes libres où Noirs et Blancs sont à égalité.

Acteurs : Matthew McConaughey, Keri Russell, Gugu Mbatha-Raw, Jacob Lofland, Sean Bridgers, Mahershala Ali.

 Une légende en images...

Les premières critiques du film étaient mitigées. Sorti fin juin aux USA et au Canada, le film est considéré par certains comme trop classique, surchargé d’une intrigue secondaire et plus récente qui nuit à la cohérence du récit. S’agissant d’une histoire (ou, comme spécifié en introduction : « inspiré d’une histoire vraie ») écrite et réalisée par Gary Ross à qui l’on doit The Hunger Games (2012), le critique pouvait se mettre en mode défensif avant même de voir le film. Et autant dire qu’à défaut d’être bluffé nous avons été séduit par Free State of Jones ! C’est que nous avons découvert l’histoire d’une « légende ». A plusieurs titres. Tout d’abord, « légende » dans le sens où l’on dit de quelqu’un qui a marqué son époque qu’il est une « légende ». C’est ici le cas de Newton Knight que nous ne connaissions pas et qui a marqué l’histoire de la terrible et meurtrière guerre de Sécession. Mais il s’agit aussi de la légende, des légendes qui gravitent autour de cet homme-là. Légende(s) racontée(s), notamment, par Sally Jenkins et John Stauffer dans The State of Jones ou dans Free State of Jones de Victoria E. Bynum (illustration ci-contre) qui ont fait l’objet de la présente adaptation au cinéma. Une « légende » est souvent comprise comme du domaine du faux. Et cette histoire-ci, basée sur le réel prend cependant des libertés avec celui-ci. C’est donc un film qui a à voir avec le statut du vrai et du faux, du mensonge et de la vérité. Ce sont des thèmes qui ’professionnellement’ nous tiennent à cœur. Nous avons abordé cela dans notre critique de Frantz, le dernier film de François Ozon.

 et une belle histoire...

Gary Ross veut faire connaître à ses compatriotes l’histoire d’un homme oublié : « Quand j’ai entendu parler du parcours de Newt Knight pour la première fois, j’ai été frappé par le fait que ce héros, unique en son genre, soit en quelque sorte tombé dans les oubliettes de l’histoire. Il est connu dans certaines régions du Sud, et sans aucun doute dans le Mississippi, mais il n’a pas la notoriété qu’il mérite. Surtout quand on sait qu’il a été l’instigateur d’une rébellion contre la Confédération et qu’à bien des égards, il était en avance d’un siècle sur son temps. ». Le réalisateur le fait en prenant des distances avec les faits historiques, ajoutant des personnages, ainsi celui de son neveu ou du Lieutenant Barbour, de l’esclave fugitif Moses Washington... Toutefois, les libertés prises avec le « réel » en construisant des personnages ne nuisent pas au message. Pas plus que la création par les auteurs bibliques d’ancêtres, comme Moïse, Abraham, Isaac, Jacob, Salomon ou David parmi d’autres - au même titre que « Adam » et « Eve » ne doit faire rejeter le message et le sens de la Bible (pour ceux et celles qui y adhèrent bien sûr). En ce sens, le personnage « historique » de Jésus est à certains égards « légendaire » dans les Evangiles. Ceux-ci nous transmettent un message, une « légende » au sens de « ce qu’il faut lire ». Ici aussi, comme pour Jésus, le film nous raconte un homme, Newton Knight, ses combats, son histoire et y ajoute des éléments, des personnes, pour donner et faire sens. Prenons l’exemple du neveu. Il n’a pas existé historiquement, mais symbolise nombre de jeunes qui ont été enrôlés de force par les Confédérés. Derrière plusieurs protagonistes créés pour les besoins de la fiction du film, il y a des êtres de chair et de sang, des souffrances et des joies, le mélange du racisme du politique et de la religion.

 ... ancrée dans le passé et le présent

Le film se déroule sur quinze ans environ, à partir de 1862 jusque 1876. Nous avons traité ci-dessus du mélange entre réalité et fiction pour transmettre un message sur cette guerre, mais aussi les relations difficiles des USA et de certains Etats en particulier avec un passé esclavagiste dont certains ont d’ailleurs encore la nostalgie. Le réalisateur aborde aussi les questions économiques qui sont en jeu à une époque où les « Républicains » étaient ceux qui luttaient contre l’esclavage. En réalité les choses sont beaucoup plus complexes et il y a aussi en jeu des conceptions économiques qui opposent des Etats du Sud, agricoles, qui utilisent une main-d’œuvre gratuite alors que les Etats du Nord qui s’industrialisent emploient des ouvriers qu’ils rétribuent. Toutefois, malgré les éléments de fiction, le réalisateur tient à rappeler au spectateur le réel de deux façons. Tout d’abord en insérant dans son film des images ou illustrations d’époque, des archives en quelque sorte, qui témoignent et attestent de la réalité sanglante de cette période trouble des USA (notamment des clichés de la guerre de Sécession par Matthew Brady). Ensuite, le film nous déplace 85 ans plus tard, dans un procès qui oppose l’Etat du Mississippi à Davis Knight, l’arrière-petit-fils de Newton. Il était jugé en 1948 pour avoir épousé deux ans plus tôt une blanche Junie, Lee Spradley. Lui avait toutes les apparences d’un blanc, mais ayant un huitième de sang « nègre » via son « illustre » ascendant, l était considéré comme « nègre ». Une seule goutte de sang afro-américain suffi(sai)t pour faire de quelqu’un un nègre, à la fois paria et interdit de mariage avec un(e) blanc(he) sous peine d’infraction aux lois sur le métissage. Nous suivons ce procès et ses conséquences ainsi que la conclusion de la Cour Suprême à ce sujet. Bien qu’apparemment mineur, cet épisode postérieur, conséquence de la relation de Newton avec Rachel... tout en continuant à vivre avec son épouse Serena nous montre que dans l’immédiat après-guerre (40-45 !) le racisme était encore bien présent.

 à la ’Robin des bois’...

Peu de films ont traité de ces épisodes de la Guerre de Sécession. Nous avons beaucoup apprécié celui-ci parce que nous aimons ces histoires à la « Robin des bois », qui mêlent l’aventure et le courage au service d’une noble et juste cause. Nous ne sommes pas naïfs, tout est bien plus complexe que le traitement « classique » d’un film qui est avant tout une œuvre commerciale. Pourquoi pas ? c’est un de nos mode de fonctionnement en société.

Nous avons aussi aimé ce film pour des raisons qui touchent notre « philosophie » d’existence et notre rapport au religieux (comme prêtre et critique cinéma) parce que le rapport du vrai aux faux doit sans cesse être abordé et analysé à l’époque où les fondamentalismes sont à nos portes (y compris dans le monothéisme chrétien) et que l’art de la narration - raison qui nous fait défendre une théologie narrative - est une façon de gérer entre nous l’espace religieux dans sa tension entre privé et public. En ce sens, la « vérité » est en-deçà ou au-delà du rapport entre le vrai et le faux. Et ici, dans le cadre qui lui est donné, celui du divertissement, Free State of Jones de Gary Ross y réussit à sa façon. Mais plus encore, le film nous aide à réfléchir au racisme ordinaire (ou pas) encore présent aujourd’hui.

Et de cela, nous devons remercier le réalisateur, les acteurs, en particulier Matthew McConaughey qui habite son personnage avec une densité qui nous amène à une empathie et solidarité avec les combats de Newton Knight. Les seconds rôles ne sont pas en reste de même que les milliers de figurants, dont certains rôles exigeaient des performances physiques hors du commun. Le directeur du casting précise ainsi : « On voulait des garçons capables de manier une arme et de marcher dans la boue, qui avaient déjà campé et qui acceptent de se laisser pousser la barbe et les cheveux. On savait aussi qu’on allait filmer la Knight Company au milieu des marécages, si bien qu’on souhaitait engager des gens habitués à ce type d’environnement qui ne flippent pas à la vue d’un serpent ». Le directeur photo, photographie Benoît Delhomme, a pu mettre en valeur les décors naturels, les champs et marécages notamment. Le tournage s’est fait principalement en Louisiane qui a été bien exploitée pour la faire passer du début du XXIe siècle à la fin du XIXe !

 Pour en savoir plus...

Les anglophones trouveront ici (en anglais) quelques éléments historiques dans cet article de James R. Kely Jr., Newton Knight and the Legend of the Free State of Jones (source de ce pdf), publié en avril 2009 sur le site Mississippi History Now.

Quant aux protagonistes de l’histoire, réelle, et aussi « fictive » du film cet article, également en anglais répond à quelques questions, et il met aussi en parallèle les visages des acteurs et de leurs personnages historiques.



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