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CINECURE
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Gabriele Mainetti
Freaks Out
Sortie du film le 21 septembre 2022
Article mis en ligne le 25 septembre 2022

par Julien Brnl

Genre : Comédie dramatique

Durée : 141’

Acteurs : Claudio Santamaria, Aurora Giovinazzo, Pietro Castellitto, Franz Rogowski, Giancarlo Martini, Eric Godon...

Synopsis :
Rome, 1943, sous occupation nazie, la Ville éternelle accueille le cirque où travaillent Matilde, Cencio, Fulvio et Mario comme phénomènes de foire. Israel, le propriétaire du cirque et figure paternelle de cette petite famille, tente d’organiser leur fuite vers l’Amérique, mais il disparaît. Privés de foyer et de protection, dans une société où ils n’ont plus leur place, les quatre « Freaks » vont tenter de survivre dans un monde en guerre...

La critique de Julien

Présenté il y a un an en compétition officielle à la Mostra de Venise 2021, c’est avec beaucoup de chance que l’on peut se réjouir de découvrir dans nos salles « Freaks Out », lequel est sorti en France en mars dernier, tandis qu’il est une production belgo-italienne (si, si). Récompensé de six trophées à la cérémonie des David di Donatello 2022 rattachée à l’Académie du cinéma italien, ce divertissement allie du cinéma de divertissement XXL et film de guerre ; la Second Guerre mondiale étant la toile de fond du second film de Gabriele Mainetti. Ce dernier et son co-scénariste Nicola Guaglianone nous replongent alors en 1943, dans la Rome occupée, alors que la défaite approche pour Hitler...

Après la destruction par une bombe du cirque Mezza Piotta dans lequel ils officiaient en tant qu’attractions étant donné leurs divers pouvoirs (très) spéciaux, quatre « freaks » se voient proposer par le propriétaire des lieux détruits (les ayant recueillis des années plus tôt) de partir tenter leur chance en Amérique. Parti avec l’argent de ces derniers afin d’acheter les documents nécessaires pour y parvenir, leur mentor Israël disparaîtra finalement sans laisser de traces. Persuadés qu’ils les ont volés, Fulvio (Claudio Santamaria, en tant qu’homme-bête, atteint d’hypertrichose et doté d’une force surhumaine), Cencio (Pietro Castellitto, dans le rôle d’un albinos capable de contrôler les insectes - excepté les abeilles) et Mario (Giancarlo Martini, en nain aimanté avec un léger retard mental) décideront, sous l’impulsion du premier, de rejoindre le Cirque de Berlin, à Rome, là où ils auraient ainsi leur place. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que le cirque de Berlin est la maison de Franz (Franz Rogowski), un nazi rejeté par les siens étant donné qu’il possède six doigts sur chaque mains, et pianiste hors pair, y jouant avant l’heure les mélodies du titre « Creep » de Radiohead et encore celle de « Sweet Child of Mine » des Guns N’ Roses, lequel est également doté de pouvoirs de clairvoyance (lorsqu’il inhale de l’éther). Épris de visions autour de l’existence de quatre êtres extraordinaires capable de sauver le Troisième Reich (alors qu’il a déjà prédit le suicide du Führer), Franz fera tout pour parvenir à ses fins. Au contraire de ses camarades, Matilde (Aurora Giovinazzo, en femme électrique, condamnée à ne pouvoir toucher personne - accepté avec des gants) partira, elle, à la recherche d’Israël, convaincue de sa loyauté...

Après les super-héros dans son premier film « On l’Appelle Jeeg Robot » (2015), le réalisateur Gabriele Mainetti a donc décidé de se frotter aux « monstres », avec pour but une réflexion sur la diversité et le passage à l’âge adulte, tandis qu’il se focalise également sur la figure du méchant et les raisons qui le poussent à laisser entrer le mal dans sa vie, quitte à nous chambouler. C’est d’ailleurs l’une des forces de « Freaks Out », soit de contextualiser la folie dans laquelle s’est enfermée le personnage de Franz Rogowski, et résultant de l’irrespect de son identité par les siens. Découvert récemment dans le drame « Great Freedom » (« Große Freiheit » en VO) de l’Autrichien Sebastian Meise, l’acteur allemand, surprenant et habité, est l’un des atouts majeurs du film, lui dont l’élocution est si particulière (il zézaye). C’est autour de lui, et en tant que quasi-chef d’orchestre, qu’évoluent les autres personnages, dont Matilde, centrale dans cette histoire, elle qui sera amenée à assumer son pouvoir, et à s’en servir dans la vie autrement que pour divertir la galerie, malgré les drames du passé. L’équipe des « Quatre Fantastiques » matinée de « X-Men » n’est donc pas en reste, tandis que Gabriele Mainetti met également l’accent ici sur l’importance de la famille (lesquels en forment une), et parvient même à (doucement) émouvoir. Cependant, le message entrepris vers la diversité n’atteint jamais ici son apogée, ces « freaks » n’étant jamais confrontés négativement aux yeux du « monde » qui les entoure. Finalement, c’est même leur différence qui fait d’eux une force, et qui leur permet donc de vivre. C’est donc, selon nous, plutôt ici vers la quête identitaire que « Freaks Out » joue ses cartes, même si l’image de la peur de sa propre identité a ici une grande part narrative. Ainsi, ce n’est pas parce que Matilde a peur du regard des autres qu’elle n’ose pas utiliser son don, mais bien par ce qu’il pourrait engendrer, vis-à-vis de ce qu’il a déjà engendré...

En immergeant son récit en pleine Seconde Guerre mondiale, Gabriele Mainetti n’a donc pas lésiné sur l’ambition de son semi-scénario. Mais bien plus qu’une toile de fond, les horreurs du nazisme sont ici légion, lui qui n’y va pas de main morte pour les montrer. Ainsi, « Freaks Out » convoite autant l’image d’un train de déportés en route pour les camps qu’un spectacle pyrotechnique éblouissant. En effet, le film ne nous épargne en rien la violence des faits, quitte à emprunter malheureusement le chemin du voyeurisme, pour en mettre ainsi plein la vue, et surtout donner un coup de pied aux fesses des nazis, en témoigne la scène finale, où ça canarde sec à outrance dans tous les sens pendant plusieurs minutes, et où l’hémoglobine coule à flots. Une séquence dantesque et peu fine qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler un certain Quentin Tarantino, et son « Inglorious Basterds ». Heureusement, l’issue en vaut la chandelle. Immoral ou non, ce mélange de genres pourra donc en freiner certains, le contexte historique servant davantage ici de curseur à spectacle brutal qu’à la mémoire de ses millions de victimes, tandis que les dialogues, eux, s’avèrent relativement décomplexés (lorsque la menace ne se présente pas). Qu’importe, la reconstitution et les moyens mis en œuvre pour y arriver s’avère payant (la production du film a coûté douze millions d’euros), étant donné une cinématographique absolument magique, malgré quelques effets spéciaux trop appuyés, en témoigne la scène d’ouverture qui, en vouloir en faire de trop, en fait beaucoup trop. Mais la plupart des séquences d’actions sont bien ici très réussies, voire époustouflantes (lorsque Franz inhale justement son éther, dès lors en proie à un trip cauchemardesque pour lui, mais fantastique pour nous), tandis que le travail sur les décors, les costumes, ou encore les maquillages font de « Freaks Out » du cinéma européen qui ne doit pas avoir peur d’être orgueilleux vis-à-vis de ses cousins anglophones, venus d’autant plus de grands studios.

Au travers de son écriture, « Freaks Out » ne cache donc pas ses références, jusqu’à sa partition musicale, enregistrée aussi bien avec une combinaison d’instruments « pauvres » (la mandoline, le mandoloncelle, ect.) qu’avec l’Orchestre de Prague ; Mainetti et compositeur Michele Braga ayant cherché à restituer la musique qui a inspiré les grands-maîtres musiciens, tels qu’Ennio Morricone, John Williams, Hans Zimmer, ou encore Johann Johannsson. Omniprésente, celle-ci prend le pas sur l’émotion, mais appuie aussi bien le spectacle de cirque qu’il met en scène que le nihilisme de la guerre. La musique demeure ainsi adaptée à la mesure de ce divertissement historique assez inclassable, entre poésie et machine de guerre. Sa mise en scène, aussi, ne passe pas à côté de ses comparaisons avec d’autres cinémas, comme celui de Guillermo del Toro pour les montres à qui il donne toute la place, ou d’Alex De La Iglesia et son exubérance, sans oublier celui de Tod Browning, dont une partie du titre emprunte celui de son film de 1932. En d’autres termes, « Freaks Out » se regarde comme une orgie de cinéma qui ne fait pas dans la demi-mesure, mais qui s’assume tel quel.

Freak parmi les freaks, le film de Gabriele Mainetti offre au spectateur ce qu’il est venu y chercher, à savoir un spectacle hors du temps, bercé (et percé) de tout ce qui a déjà été vu auparavant, aussi hallucinant qu’halluciné. C’est un film de cinéma qu’il faut voir sur grand écran, et que sa générosité à mélanger les genres est à la fois une force, et un vilain défaut, tout comme sa volonté d’en mettre toujours plein la vue. Mais les facilités multiples et prévisibilités du scénario ne gagnent jamais la bataille face à l’aura épique qu’il dégage, sans parler de ses quelques surprises, souvent émouvantes. Même s’il n’est pas maîtrisé, on a donc à faire ici à un film qui prétend encore, à juste titre, à du grand spectacle européen comme en on n’en espérait plus, lequel nous parle de différence à une époque où celle-ci était systématique éradiquée. Et rien que pour cela, « Freaks Out » mérite le (long) détour qui, rassurez-vous, est moins effrayant qu’il en a l’air.



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