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CINECURE
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François Ozon
Frantz
Sortie le 7 septembre 2016
Article mis en ligne le 17 août 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

Acteurs : Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner, Cyrielle Claire, Johann von Bülow.

 Le noir vous va si bien

Tout comme Le fils de Jean de Philippe Lioret, le dernier film de François Ozon est un de ceux dont tout dévoilement de l’intrigue est préjudiciable. Heureux sont ceux qui l’ont découvert en avant-première à l’UGC Ciné Cité des Halles le mardi 12 juillet en présence du réalisateur. Son film sera d’ailleurs en compétition lors de la 73e Mostra de Venise (du 31/8 au 10/9/2016). Frantz (« allemandisation » de Franz !?) est donc le prénom d’un absent, mort au combat durant la Grande Guerre. Ozon filme essentiellement en noir et blanc. Ce choix se fait aussi pour des raisons économiques et pratiques, car il permet de rendre crédibles les lieux et décors du film. Mais de cette contrainte, Ozon va faire quelque chose qui transcende son œuvre. Le noir et blanc lui va si bien. Ozon va cependant plus loin en nous proposant certaines images en couleur. Ce choix de certaines séquences, rêvées, fantasmées, réelles ou pas, construites ou déconstruites apporte une autre matière à l’image et en assure à la fois densité et légèreté !

 Un mélodrame allemand

C’est un mélodrame allemand que nous offre Ozon. Et le casting est au service de ce drame. A commencer par Pierre Niney, qui joue en allemand cet homme ambigu, fragile, presque féminin parfois, qui partage une passion pour Frantz, le fiancé d’Anna. Le réalisateur adapte une pièce de théâtre de 1930, elle-même adaptée au cinéma deux ans plus tard par Lubitsch. La pièce, française, s’inscrivait dans un contexte très pacifique d’après-guerre (plus jamais cela !) tandis que Lubitsch y apporte un éclairage germanique.

Le film de Ozon s’ouvre à deux publics. Le premier qui ne connaît pas les œuvres de Rostand et de Lubitsch et le second qui connaît bien l’un et/ou l’autre. C’est que ce dernier sera surpris, intrigué, voire déçu des changements qu’Ozon apporte à la trame initiale. Nous y viendrons dans une partie en forme de spoiler (à ne lire idéalement qu’après avoir vu le film). C’est en effet à une totale relecture de l’œuvre qu’Ozon procède, proposant un nouvel axe narratif, déplaçant le focus sur un autre personnage et surtout en en faisant un grand et beau mélodrame.

 Frantz ou la narration d’un amant/ami !

Nous aurions pu écrire « construction » comme, le fait, dans un tout autre domaine, Thomas Römer, professeur au Collège de France, dans un cours qu’il a donné en 2008-2009, intitulé : « La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham ». Il y certes « construction » ou « création » d’un ancêtre, dans la mesure où il n’y a pas de « Monsieur Abraham » au sens d’un personnage historique de chair et de sang qui a foulé le sol de la planète Terre. Mais il y a aussi « construction », élaboration d’un discours qui a une autre visée (ici théologique, qui vise - notamment - à se créer une origine commune pour gérer la violence du présent, mais nous ne développerons pas malgré notre inclinaison aux digressions). Cette « construction » littéraire est de loin plus importante, littéralement fondamentale qu’un fait historique et matériel. Il ne s’agit pas ici de vrai ou de faux, de tension entre mensonge et vérité - quoique ! -, mais de tension entre « réalité » et « vérité ». Au-delà de la fiction, il y a dans l’invention et la construction d’un récit, une vérité à découvrir, sur l’humain, sur un peuple et une nation. Il en est de même dans Frantz. Différents protagonistes, dont Anna et Adrien (se) racontent Frantz. Ce faisant, ils construisent un récit. Celui-ci est-il la « réalité » ou les mots utilisés pour dire quelque chose d’au-delà du réel ? L’imaginaire, l’imagination, la construction et la narration - le tout ensemble - que le réalisateur transpose en images essentiellement en couleurs nous font advenir Frantz à la mémoire tout comme à celle des différents protagonistes du récit. Plus nous avançons dans celui-ci, plus nous (dés)apprenons de Frantz. Mais s’il donne son nom au film en est-il pour autant au centre ? Se pourrait-il que ce soit Anna ?

 Anna se souvient et cherche

Anna vit des souvenirs qu’elle a de Frantz et elle enrichit sa mémoire de ceux que lui apporte Adrien. Mais celui-ci habite également – et vient « contaminer » en quelque sorte — l’esprit et le cœur d’Anna. Et lorsqu’un aveu de l’un et une confession de l’autre obligent à franchir des frontières : celles du bien et du mal, du mensonge et de la vérité, de la guerre et de la paix, de l’Allemagne et de la France, le récit prend une autre direction et modifie sa dynamique, abandonnant là l’arc narratif dont il s’était plus ou moins inspiré jusque-là. C’est au milieu du film qu’un exode et une quête vont se déployer. Ce qui s’était dit dans l’aveu, ce qui avait été indiqué comme voie de salut dans une confession va conduire une héroïne à une quête impossible. Elle découvre un autre pays, et parfois la même animosité entre Français et Allemands que celle qu’elle vivait dans sa propre patrie. Et en cela, deux chants guerriers seront miroirs l’un de l’autre et probablement témoins de l’origine pacifiste du récit inaugural. Et justement, par rapport à celui-ci, cette seconde partie en modifie radicalement le sens, en donnant à l’histoire de se déployer pleinement en mélodrame. C’est en effet à un tout autre réel que se confronte Anna dans sa quête d’un amant. Car amant, il y a, même si tout cela est ambigu, ne serait-ce que dans une possible lecture homosensuelle du récit fantasmé qu’Adrien fait de sa relation avec Frantz. L’amour sera-t-il possible lorsque les cartes seront dévoilées ? Et peuvent-elles l’être d’ailleurs lorsqu’il s’agit des mères de l’un et de l’autre ? Quel récit reste-t-il alors à construire pour protéger l’avenir ?

Le chapitre suivant contient ce que l’on appelle des « spoilers », c’est-à-dire qu’il dévolie des moments essentiels de l’intrigue. Un conseil :
1. Le texte est particulièrement destiné à ceux qui ont vu le film de Lubitsch et/ou la pièce de Rostand
2. et en tout cas, si vous voulez le lire, faites-le après avoir vu le film !

 Les bifurcations de François Ozon !


...cliquez pour lire ! - Attention : spoiler ! -

François Ozon crée lui aussi un récit en s’écartant de l’original. Celui-ci, Broken Lullaby, adapte une pièce écrite par Maurice Rostand en 1930, intitulée L’homme que j’ai tué (adaptation de son roman homonyme de 1925). Ce titre qui est aussi celui en français du film de Lubitsch est un véritable spoiler du remake d’Ozon. C’est que dans la pièce et le film, nous apprenons immédiatement le rôle de Paul Renard (ici, Adrien) dans la mort de Walter (Frantz). Cela se passe dans une confession du français à un prêtre. Ozon placera cette confession à un autre moment et ce sera celle d’Anna ! Tout l’enjeu de la pièce et du premier film est celui du pacifisme (repris par Ozon), mais surtout celui de la culpabilité du Français. La pièce et le film se termineront pas une sorte de compensation expiatoire, puisque Paul prendra, de façon symbolique, mais aussi matérielle, la place de Walter auprès de ses parents. Ozon déplace l’axe de l’assassin et de sa culpabilité vers un autre, celui de la fiancée allemande et de sa double relation amoureuse, avec son défunt fiancé et ensuite avec son meurtrier. C’est alors que commence une autre histoire, au milieu du film avec le départ de celle-ci pour rechercher celui-ci et outre la recherche, les retrouvailles et la confusion des sentiments qui s’ensuit. En ce sens, c’est donc un tout autre film que François Ozon nous propose. Occasion peut-être dans la foulée de (re)voir le film de Lubitsch !

https://www.youtube.com/embed/3dEnNRaUKG8
FRANTZ Bande Annonce (Pierre Niney - 2016) - YouTube


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