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Emma Benestan
Fragile
Sortie du film le 13 juillet 2022
Article mis en ligne le 15 juillet 2022

par Julien Brnl

Genre : Comédie, romance

Durée : 100’

Acteurs : Yasin Houicha, Oulaya Amamra, Raphaël Quenard, Tiphaine Daviot, Tassadit Mandi, Guillermo Guiz, Tacu Diong-Keba...

Synopsis :
Az travaille chez un ostréiculteur à Sète. Les huîtres il connaît ça par cœur, il les ouvre par centaines. Dans l’une d’elle, Az décide de cacher une bague, pour demander sa petite amie Jess en mariage. Elle ne dit pas oui. Heureusement, sa bande d’amis est prête à tout pour l’aider à sortir la tête de l’eau.

La critique de Julien

Un premier film est toujours né de sources d’inspiration, de pulsions, ou d’une volonté de transparaître des messages forts. Née à Montpellier, la réalisatrice, scénariste et monteuse franco-algérienne Emma Benestan - déjà à la tête de plusieurs courts métrages - s’est quant à elle inspirée de la symbolique de l’huître - qui est hermaphrodite - pour raconter une histoire d’amour sensible, certes universelle, mais surtout inversée, dans le sens où, généralement, c’est la femme qui souffre d’un chagrin d’amour dans les comédies romantiques. Et quelle belle surprise que cette rom-com et sorte de « Dirty Dancing » à l’Algérienne, aussi intense, solaire et belle qu’un premier amour...

« Fragile » démarre de manière assez classique, puisqu’on y découvre le jeune Az (Yasin Houicha, vu notamment dans « Papicha » de Mounia Meddour), un garçon touchant, pas toujours bien dans sa peau, mais qui n’a cependant pas besoin d’être quelqu’un d’autre pour être aimé. Sorte de Hugh Grant dans « Coup de Foudre à Nothing Hill », mais à l’algérienne, Az travaille alors comme ostréiculteur à Sète, lui qui est amoureux de Jessica (Tiphaine Daviot), rêveuse auto-centrée, issue d’un milieu social plus aisé, et qui débute quant à elle comme jeune actrice dans une série à succès, face à son partenaire de jeu Giaccomo (l’humoriste et chroniqueur belge Guillermo Guiz, pour son premier rôle au cinéma), déjà bien installé dans le métier. En quête « d’espace », Jessica refusera alors la demande au mariage d’Az, lui demandant, au mieux, de « faire un break », ce qui anéantira le jeune homme, sans pour autant renoncer... De retour chez sa mère, sa grand-mère et sa sœur (dont il squattera la chambre), il pourra cependant compter sur le soutien de ses amis Raphaël (Raphaël Quenard), Ahmed (Bilel Chegrani), Kalidou (Diong-Kéba Tacu), et Lila (Oulaya Amamra, César du meilleur espoir féminin en 2017 dans l’exceptionnel « Divines » d’Houda Benyamina), de retour de Paris, laquelle va l’aider à reconquérir sa dulcinée...

Impossible de ne pas tomber sous le charme, d’une part de l’acteur Yasin Houicha, et d’autre part de ce film, qui donne le sourire tout le long, tout en parlant d’amour et d’hommes fragiles, mais sans forcer le trait. La mise en scène d’Emma Benestan participe ici à une sensation de bouffées d’air frais, qui traverse son film de long et en large, porté par des jeunes acteurs authentiques, qui jouent comme s’ils étaient réellement leurs personnages, aussi attachants qu’imparfaits. On apprécie également que cette comédie inverse ainsi les rôles, dans le sens où l’homme se voit ici enseigner (la danse, et plus précisément le raï) par la femme (ici de caractère), ce qui est une grande satisfaction, et qui remet un peu d’ordre vis-à-vis de rôles ordinaires contemporains préétablis. « Fragile » nous parle ainsi en partie de fragilité affective, qui est en chacun de nous, et qu’on se doit d’accepter, et d’extérioriser, même si on est un homme.

Filmé en été indien, la ville de Sète est illuminée ici par sa lumière déclinante, ce qui rend d’autant plus vif ce besoin urgent de vivre avant l’hiver, et qui rend ses visages plein de joie, ses corps beaux, et ses couleurs méditerranéennes chatoyantes, tandis qu’on y ressent l’odeur de la mer, ainsi que celle des cornes de gazelles fraîchement préparées par Az. On prend alors un malin plaisir à partager ces morceaux de vie avec ces jeunes, racontés loin des clichés, ou des thèmes d’immigration ou d’intégration. C’est bien ici un film d’amour pour eux, avec eux. Car il y a bien ici des choses belles et romanesques que capte joliment ici la réalisatrice, elle qui exploite aussi par ses choix symboliques plusieurs contextes sociaux forts, avec, par exemple, une métaphore sur l’ascenseur des classes sociales, avec en bas, au bord de mer, les petits exploitants tels que les ostréiculteurs, et en haut, surplombant la colline, le monde des belles villas, qu’occupent notamment les gens des séries télévisuelles, la ville de Sète étant devenue un corridor de tournages. Mais tel que le dit le personnage d’Oulaya Amamra, ces « gens-là » n’ont pas plus de valeurs « qu’eux », mais seulement plus d’argent. Emma Benestan nous montre d’ailleurs, au regard du personnage de la maman d’Az, que les personnes issues d’une culture et/ou d’un milieu moins favorisé que d’autres ont tendance à s’abaisser face à ces dernières, lesquelles se croient souvent moins bonnes ou coupables, plutôt que de s’affirmer, comme si elles ne pouvaient pas, elles aussi, être dans la position du miséricordieux. C’est donc également ici le travail que va accomplir Az vis-à-vis des siens, soit celui de remettre les pendules à l’heure (de fin d’été), de prendre confiance en lui, et de réaffirmer la position de l’homme, qui peut lui aussi être une victime...

Outre ainsi l’irrésistible et irradiant Yasin Houicha, et la vraie et pétillante Oulaya Amamra, le film fait également la part belle à ses seconds rôles, parmi lesquels on retrouve le personnage de Raphaël Quenard, très bien écrit par sa personnalité et ses répliques qui font souvent mouche, ou encore Tassadit Mandi, dans celui de la grand-mère iconoclaste et bien éveillée, ayant soif de liberté, et cherchant à rendre son petit-fils moins passif, tout en se rendant sur des applications de rencontre en mentant sur son âge. Issus majoritairement de l’association « 1000 visages », le casting nous emporte littéralement par sa fougue, son incapacité à mentir dans son jeu. Quelle sublime cohésion et alchimie de groupe, au service d’un film qui procure un bien fou, et une énergie folle !

Précieux, délicat, « Fragile » l’est cependant tout autant que la signification de son titre, lequel n’est évidemment pas épargné par quelques maladresses liées à un premier film, lui dont le scénario tire un peu en longueur, voire en rond, d’autant plus qu’on en connaît évidemment l’issue. Mais rien que pour ses dialogues enlevés et ses personnalités irrésistibles, le film d’Emma Benestan en demeure une idylle euphorisante, bien entourée, ressourçante, drôle, juste et terriblement touchante. Bref, c’est un coup de cœur. Et ce ne sera pas que le nôtre !



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