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Jonas Poher Rasmussen
Flee (Flugt)
Sortie du film le 01 juin 2022
Article mis en ligne le 8 juin 2022

par Julien Brnl

Genre : Animation, documentaire, drame

Durée : 90’

Acteurs : Jonas Poher Rasmussen, Amin Nawabi, Belal Faiz, Zahra Mehrwarz...

Synopsis :
L’histoire vraie d’Amin, un Afghan qui a dû fuir son pays à la fin des années 80 alors qu’il n’était qu’un enfant. Trente ans plus tard, désormais universitaire au Danemark, il va confier à son meilleur ami la véritable histoire de son voyage et de son combat pour la liberté.

La critique de Julien

Au rayon des films d’animation à ne surtout pas rater, il y a « Flee » (« fuir » en version française), du réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, au travers duquel le cinéaste interviewe un ami de longue date, volontairement sous un pseudonyme, et autour de son incroyable parcours du combattant de réfugié afghan en Europe. Or, il n’avait encore jamais fait part de son histoire à personne, ni même à l’homme qu’il envisage d’épouser, lui qui est donc, de surcroît, homosexuel, et fantasmait, plus jeune, sur ses posters de Jean-Claude Van Damme. Mais son lourd secret d’évasion pesait sur sa capacité à être heureux, à se sentir en paix avec lui-même, et à s’engager, lui qui envisageait même de quitter le Danemark pour devenir un chercheur postdoctoral à l’Université de Princeton, aux Etats-Unis. Ainsi, l’idée de s’enraciner le terrifie, lui qui redoute toujours d’être renvoyé dans son pays d’origine suite aux mensonges émis aux autorités danoises concernant les membres de sa famille, lorsqu’il est arrivé seul, à 16 ans, à Copenhague, afin de bénéficier du statut de mineur non-accompagné... Mais c’est avec beaucoup de courage, de confiance retrouvée, et d’amour, finalement, qu’Amin a décidé de prendre la parole, aujourd’hui, elle qui est racontée ici au travers d’un sublime film d’animation, unique en son genre.

Premier film à avoir été nominé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, d’animation et documentaire, « Flee » revient d’abord sur l’enfance insouciante d’Amin, à Kaboul, lui qui gambadait dans ses rues en portant les robes de ses sœurs, et écoutait de la musique pop avec son walkman. Mais cette enfance heureuse a brutalement pris fin lors de l’arrestation de son père, sous le régime communiste. Puis l’invasion imminente des forces moudjahidines extrémistes (suite au retrait de l’Union soviétique d’Afghanistan) a forcé Amin, sa maman, ses deux sœurs et son frère à quitter le pays, direction la Russie. Avec l’aide du fils aîné de la famille, Abbas, qui vivait en Suède après avoir déjà fui l’Afghanistan des années plus tôt, ces derniers ont tenté de rejoindre par tous les moyens la Suède, avec comme seule rentrée d’argent celle d’Abbas. S’en est suivi de longues heures d’errances, de longs mois d’attente, de la peur (terrible police russe corrompue), de la honte, desquels Amin fera part aujourd’hui au travers des conditions extrêmes de (sur)vie qu’il a vécues avec les siens, en tant que clandestins en Russie, de captifs en Estonie, ou encore d’humains déshumanisés au regard des passeurs, qu’il préfère d’ailleurs appeler les « trafiquants d’êtres humains »...

Récit d’exil d’une rare intensité, « Flee » est d’une richesse inouïe. D’une part, cette histoire nous est livrée telle qu’elle est livrée à son metteur en scène, Jonas Poher Rasmussen, en temps réel et en parallèle des révélations de son ami, rencontré au lycée. Il se dégage donc une authenticité dans cet échange, une vérité, une mise à nu d’un courage aussi grand que celui dont a fait preuve par le passé ce garçon, devenu aujourd’hui un homme, mais que ledit passé n’a jamais vraiment quitté, n’a jamais arrêté de tourmenter. Aussi, cette histoire est également celle d’un apprentissage, et pour le spectateur également, montrant l’envers du décors du statut de réfugié, du déracinement, de ses conséquences, et des traumatismes endurés pour parvenir à fuir la guerre, afin d’espérer embrasser l’avenir.

L’autre immense qualité de ce film, c’est évidemment sa réalisation, mêlant le documentaire d’animation, avec des scènes animées dépeignant le passé et le présent d’Amin, mélangeant alors des techniques différentes d’animation, allant du noir au blanc à des scènes dessinées au fusain, sans oublier des séquences d’archives, avec donc de vraies images, lesquelles viennent appuyer à la fois l’exactitude, le réalisme, et la dramaturgie des propos, eux dont l’actualité est parfois confondante, à l’image de l’ouverture du premier célèbre fastfood américain moscovite, tandis que, dans une ruelle parallèle à la cohue, une demoiselle, sans défense, se faisait violer par des policiers corrompus, dans l’une de leur fourgonnette de service, Amin leur ayant, quant à lui, échappés de justesse...

L’homosexualité est aussi au cœur du récit, elle qui est abordée avec une incroyable finesse, Amin ayant caché son attirance pour les garçons à sa famille durant de longues années, alors que l’homosexualité est taboue en Afghanistan. Alors qu’il assume maintenant et totalement celle-ci, il est surtout question ici du poids de son secret passé sur sa relation amoureuse, et dès lors son incapacité à se livrer totalement, limite à s’abandonner à l’autre, alors qu’il a vécu, depuis plusieurs années, avec ce passé indicible en lui. Enfin, « Flee », qui est un film de l’intime, est également une inquiétante parabole politique, notamment sur la question de l’immigration en Europe. Par exemple, si le Danemark fut l’un des premiers signataires de la convention de Genève (Amin ayant trouvé refuge là-bas), ce pays s’est depuis totalement replié sur la question, alors que le gouvernement de sa Première ministre sociale-démocrate Mette Frederiksen entend bien externaliser la procédure de demande d’asile, notamment en Afrique...

« Flee » n’est donc pas qu’un simple film d’animation. C’est bien plus que cela, soit un film de nécessité absolue, à montrer à vos adolescents, à partir de douze ans. Récompensé du Prix du cinéma européen 2021 du meilleur film d’animation et du meilleur film documentaire, ce film est le parfait exemple d’une œuvre cinématographique qui lie à la fois le fond et la forme, et au service de thèmes aussi éprouvants que touchants, quitte à prendre parfois trop de directions différentes malgré un temps de narration assez court. Mais la démarche n’est jamais vaine, et le résultat est à la fois d’une beauté graphique incommensurable, aussi cauchemardesque que poétique, et d’une intensité narrative aussi rude qu’émouvante. Un seul conseil : ne passez pas à côté.



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