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CINECURE
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Ridley Scott (2014)
Exodus : Gods and Kings
Sortie le 17 décembre 2014
Article mis en ligne le 15 décembre 2014

par Charles De Clercq

Synopsis : L’histoire d’un homme qui osa braver la puissance de tout un empire.
Ridley Scott nous offre une nouvelle vision de l’histoire de Moïse, leader insoumis qui défia le pharaon Ramsès, entraînant 600 000 esclaves dans un périple grandiose pour fuir l’Egypte et échapper au terrible cycle des dix plaies.

De grand acteurs...
Malgré une très belle brochette d’acteurs au service de cette relecture du deuxième libre du Pentateuque (l’Exode) : Aaron Paul, Christian Bale, Sigourney Weaver, Indira Varma, Joel Edgerton, Ben Kingsley, John Turturro, j’étais circonspect en lisant dans le synopsis cette mention de six cent mille esclaves. Je reviendrai sur ce point plus loin dans une critique extra-cinématographique qui dressera les grandes lignes des problèmes soulevés par l’interprétation biblique.

Le film et la 3D décevants...
Ma première déception pour ce film qui m’a laissé - si vous me permettez - « entre deux eaux », c’est la 3D. Dans la plupart des cas, elle est inutile, fatigante, n’ajoute rien pour le spectateur sinon c’est effet artificiel pseudo stéréoscopique. Là où cela passe en amusement pour les images que l’on peut regarder dans une petite boîte en carton... il en va tout autrement pour un film de 150 minutes. A moins que vous ne soyez fan inconditionnel de ces films à voir avec lunettes dans les salles, choisissez une projection en 2D... ce sera « un peu moins pire » pour écrire de façon très triviale.

Alors nous avons affaire à un péplum biblique avec des acteurs excellents, mais qui semblent si peu engagés dans l’aventure qu’il est difficile d’avoir de l’empathie pour eux. Nous aurons aussi et c’est assez réussi beaucoup de (beaux) effets spéciaux au service d’une histoire grandiloquente et qui semble connue. Un ami et confrère (journaliste, pas prêtre !) résume le film comme ceci : « De belles images, des effets spéciaux réussis. Mais un manque total d’âme, un comble pour un film qui parle de Dieu ! »

De la technique donc et c’est au top. Rien à redire à ce sujet, mais pas d’âme et ajouterais-je pas de Dieu (enfin si, oui... mais non !). Et c’est ce point que j’aimerais aborder de façon critique, en reprenant quelques éléments plus bibliques et peu importe que l’on soit ici « croyant » ou pas !

NB : La suite est un « coup de gueule » du passionné qui sommeille en moi !

Une relecture biblique !

Relecture de Ridley Scott d’une part, mais aussi relecture critique de celle-là !

J’ai fait état ci-avant de la question des 600 000 esclaves. Rien à redire : c’est écrit dans la Bible (Ex. 12, 37), mais, c’est que même les bibles les plus classiques signalent depuis plusieurs décennies que ce chiffre est grandement exagéré.

Scott reprend donc le livre de l’Exode, deuxième livre du Pentateuque, dont la rédaction se réalise sur plusieurs siècles, disons, à la louche du 6e siècle au 2e siècle avant notre ère (ce qui n’empêche que certains éléments ont pu être repris à des traditions plus anciennes et éventuellement à d’autres cultures) et que des relectures se feront probablement encore jusqu’au 1er siècle avant l’ère courante. Le réalisateur ne tient pas compte des acquis de l’exégèse, notamment « historico-critique ». Il prend le récit quasiment au pied de la lettre, au sens littéral. Une lecture fondamentaliste donc. Et pourquoi pas, c’est son droit ? Ces récits appartiennent au patrimoine de l’humanité et il n’est pas « propriété » de croyants qui auraient un droit de regard et de censure. Plus encore, Ridley Scott aborde le récit en évacuant « Dieu » ou, plus exactement, en le relisant de façon à pouvoir se passer de lui, au nom d’une certaine rationalité.

Dieu est présent, mais sous la forme d’un enfant. C’est intéressant, car l’infans est littéralement le sans parole d’autant plus qu’il s’agit d’un récit où Moïse ne peut s’exprimer que grâce à son frère Aaron (malheureusement trop peu « exploité » dans le film, au contraire, par exemple de l’oratorio Mose and Aaron de Schoenberg). Mais l’enfant n’est « vu » que par Moïse et donc la porte n’est pas fermée au fait qu’il s’agit d’une hallucination. Mais plus encore, les « dix plaies d’Egypte » sont expliquées rationnellement par un grand prêtre du pharaon. Certes on peut en conclure que l’explication est erronée et que c’est Dieu qui est derrière tout cela, mais j’ai plus l’impression que c’est la voix « rationnelle » de Ridley Scott qui s’exprime. De même, pour le « passage de la mer Rouge », le film nous montre que le passage est dû à un tsunami ! La nuée pourrait être une trombe d’eau... De même on voit Moïse graver lui-même les « Tables de la Loi ». Pourquoi pas, après tout, mais cela risque de laisser les « croyants » sur le côté de la route, qu’il s’agisse de fondamentalistes ou de « libéraux ». Il eut mieux valu relire le mythe sur le mode fantastique comme tant d’autres films eu y mettant toute la gomme. Sinon, on serait dans le cas d’un cinéaste qui nous proposerait le chaperon rouge en expliquant que si le loup parle à la jeune fille, c’est parce qu’il a subi une modification des cordes vocales et une chirurgie du cerveau pour lui donner accès au langage ! On devine à la fois l’impasse et la perte du merveilleux...

On peut certes revisiter « Les dix commandements », mais en lui donnant tous les moyens des effets spéciaux modernes ! Ce que l’on admet pour Jason et les argonautes ne serait-il pas valable pour la Bible ? Sinon, il faut verser dans le documentaire : mais alors il faut expliquer que l’existence de « monsieur Moïse » est fort improbable (de même que les patriarches comme Abraham. On écoutera avec profit à ce sujet le cours de Thomas Römer au Collège de France en 2009, consacré à La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham). Il faut aussi expliquer qu’il ne s’agit pas de tel ou tel Pharaon, mais de la définition de l’ennemi en général, que le séjour et l’esclavage en Egypte sont avant tout une construction littéraire, théologique et politique posée au VI et Ve siècle avant notre ère, etc. On retrouverait alors toute la puissance d’une lecture narrative qui ferait découvrir qu’il s’agit de « vérité » avant de « réalité » (aux sens historique et matériel) où pour reprendre une expression de Pierre-Jean Labarrière, à propos de récits évangéliques : « que c’est en les disant vrais qu’on les fait vrais ».

Je pense donc que Ridley Scott à « raté sa cible » (en quelque sorte le sens original de la notion de péché !) en nous proposant cette sortie (cet exode) hors des mythes pour en relativiser le merveilleux. Ce n’est pas parce qu’il n’était pas pas « réel » qu’il fallait l’évacuer !

Pour conclure, signalons que le réalisateur ne reprend pas tous les passages de l’Exode qui couvrent ici les chapitres 2, 11 jusque Ex. 20. Sont ainsi omis pas mal d’éléments d’Ex 4, dont Aaron comme interprète de Moïse, la circoncision du fils de Moïse ; le chapitre 6, surtout la partie du chapitre 12 consacrée à la Pâque, récit fondateur par excellence et grosso modo les chapitres 15 à 19.

http://www.youtube.com/embed/XcBsI63rodw
EXODUS Bande Annonce VOST (Ridley Scott - 2014) - YouTube


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