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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Laurent Micheli
Even Lovers Get the Blues (vision précédée du court-métrage Calamity)
Sortie le 30 août 2017
Article mis en ligne le 31 décembre 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Ana couche avec Hugo, Dalhia avec Graciano, Léo avec Louis et Arthur avec tout le monde. Entre fêtes et amours surgissent les remises en question, les désirs profonds et l’urgence de vivre. Even Lovers Get The Blues dresse le portrait amoureux et sexuel d’une jeunesse désabusée et passionnée.

Acteurs : Gabriel Da Costa, Adriana Da Fonseca, Marie Denys, Séverine Porzio, Arnaud Bronsart, Tristan Schotte.

NB : lire ici une deuxième critique du film à l’occasion de sa sortie prochaine en salles belges en août 2017.

J’avais découvert ce film en avant-première à Bozar le 29 décembre 2016 dans le cadre du BE FILM FESTIVAL. Après une tournée dans de nombreux pays où le film a été acclamé et primé, Even Lovers Get the Blues sort en Belgique le 30 août 2017.

Remarque : Le film de Laurent Micheti était précédé par un court-métrage dans le cadre du BE Film Festival. Il m’a semblé bon de commencer par écrire quelques lignes sur ce court, Calamity. Vous comprendrez pourquoi en lisant cette critique !

Si les amoureux ont le blues, les critiques cinéma peuvent l’avoir aussi quand ils ne peuvent assister à tout ce qu’ils souhaitent, en particulier les Festivals. Mes différentes tâches professionnelles me cantonnent à Bruxelles et je n’ai donc pas eu la possibilité d’assister au Festival du film de Namur cette année. Un confrère avait attiré mon attention sur le premier film de Laurent Micheli, mais sans vraiment m’en dire plus. Toutefois, il était déjà un film à repérer. En effet, celui-ci, produit par Stenola et Grenade, avait obtenu le Prix de la Critique UCC/UPCB lors du dernier Festival International du Film Francophone de Namur en 2016. Toutefois, aucune sortie n’étant annoncée - du moins dans l’immédiat - j’ai profité de l’opportunité de voir le film dans le cadre du Be Film Festival.

NB : La critique du film, c’est à partir du 3e paragraphe...
En effet, il y a...

 ... un court pour débuter !

Il a fallu patienter, comme dans mes jeunes années, avec la projection en avant-séance d’un court-métrage. Qui n’avait rien à voir avec le long qui suivrait. Encore que, peut-être bien que oui ! sans le vouloir ? Choix délibéré d’un membre de l’équipe de programmation ? Hasard d’une programmation ? Et c’est plutôt cette piste-là qu’il faudrait privilégier, car ce court venait à peine d’être terminé. Quelques heures ou jours tout au plus. Il n’était pas annoncé et aucune information sur le film (Mise à jour : lien vers la fiche IMDB) et encore moins son sujet, son thème et ses acteurs. Sinon que l’un d’entre eux au moins - je m’en rendrai compte durant la projection - était juste devant moi.

 Calamity

Ce court porte le titre Calamity et ne démarre pas sur les chapeaux de roues, mais tranquillement dans une rue d’une ville belge, et il est loin d’être une calamité. Sauf que, peut-être, c’en sera une pour certains des protagonistes ! Il est bien difficile de donner le pitch du film, car c’est dans celui-ci que réside toute la saveur, digne parfois de quiproquos de certaines pièces de boulevard. Le film qui a fait rire la salle à de très nombreuses reprises (et m’a fait réfléchir également). C’est que l’on joue sur la confusion : des sentiments, mais aussi des genres. Et s’agissant de genre, il ne s’agit pas de celui qui fait les honneurs du BIFFF, par exemple, mais de celui qui fait sortir le pire de l’humain, ainsi d’adeptes de la manif pour tous en France. Je ne sais comment ce court-là pourra être distribué, sinon dans un prochain Festival de courts, mais il vaut son pesant de rire. C’est dû non seulement au scénario, mais aussi à l’interprétation magistrale des acteurs et en particulier des expressions de leurs visages ! Mais au-delà du « comique » de situation, il y a le tragique de l’incompréhension, des clichés, du rejet au sein même de la famille, de la fratrie. Et si, pour la tolérance, il y a dit-on des maisons pour cela, il en est qu’il faut quitter à cause de l’intolérance et de l’incompréhension. Un court à voir donc.

 Even... : un film de genre ?

Involontairement ou pas, le court métrage préparait le terrain pour le film qui suivrait. Non pas qu’il y serait question de « genre », mais que certains thèmes, certaines raisons de vivre et certains choix de vie mis en scène ont un lien avec le film précédent, ne serait-ce que par la condamnation par une frange de la population qui se croit bien-pensante. Le premier film de Laurent Micheli n’est pas un film tout public et donc pas pour tous les yeux. Il demande probablement, pour être reçu sereinement, d’être bien dans sa peau, son corps, son sexe, ses sentiments. Et la frontalité et l’explicite de certaines images et scènes font qu’il faut un avertissement préalable et être un public, comme on dit « averti » pour le voir. Raison pour laquelle, ce n’est pas un film que je présenterai à l’antenne. En cela mes critères sont clairs : ne rien imposer en radio qui ne risque de choquer ou surprendre mes auditeurs. Après tout certains sont malades, alités, âgés et ils reçoivent ce qui passe à l’antenne « sans défense ». En revanche, sur le web, il faut un choix délibéré pour poursuivre la lecture d’un article. Si donc, voir de la nudité sexuellement explicite, hétérosexuelle et homosexuelle vous dérange, met mal à l’aise, vous heurte, mieux vaut ne pas voir le film et arrêter ici la lecture de cette critique. C’était ma position pour La vie d’Adèle, L’Inconnu du lac, Love, Nymphomaniac, Théo et Hugo dans le même bateau

 Des trentenaires insouciants ?

De quoi s’agit-il ? De la banalité d’une vie insouciante de trentenaires. Ils aiment faire la fête, boire, manger, se droguer et plus encore coucher, faire l’amour, baiser. Le film est une succession de scènes de vie et de sexe. De mort aussi. Car le décès d’un protagoniste immédiatement après avoir fait l’amour va avoir des conséquences sur sa partenaire, ses choix de vie, sa façon d’habiter sa maison, mais aussi sa quête de nombreux partenaires d’un soir.

Le réalisateur ne cache rien, y compris de certaines pratiques sexuelles. Un peu comme Gaspard Noé où avec Love, le spectateur en prenait plein la tronche, 3D oblige ! Ici, pas de 3D et le spectateur ne fait que voir et non recevoir. N’empêche l’on pourra comprendre que l’un ou l’autre se sente mal à l’aise. Autant prévenir donc. Il y a cette libido exacerbée présente tout au long… de ce long métrage. Dans sa note d’intention [1], le réalisateur écrit en exergue : « Dis-moi comment tu baises et je te dirai qui tu es ».

 Montrer ou pas, telle est la question !

La question est cependant : fallait-il montrer et surtout montrer toutes ces images-là ? C’est un thème déjà traité dans Théo et Hugo dans le même bateau, mais aussi Love ou Greek Pete. Ce sont celles relatives à la représentation de scènes de sexe explicite dans un film qui n’est pas pornographique. Et comme je l’ai déjà dit à la radio, celui qui cherchera cela sera déçu et il devrait se tourner vers un film X ! En revanche, le malaise - s’il y a - invitera à s’interroger. Pourquoi est-ce moins problématique de voir deux filles s’embrasser que deux mecs ? Par exemple ! Et ce n’est pas sans lien avec l’homophobie. Ainsi la scène du train, occultée dans le film, mais explicite dans ses conséquences pour Arthur.

 Des questions essentielles

Il n’y a pas cependant que du sexe ! Certes, il est partie intégrante du film, son ADN en quelque sorte et son expression même traduit un état de vie de jeunes, « La première génération dont on nous annonce tous les jours qu’elle vivra moins bien que celle de ses parents. » [2]. Au-delà de ces scènes, il est des questions essentielles dont certaines viennent en radicale opposition des images traditionnelles du couple et de la famille, mais aussi de certains de nos impensés et clichés. Ainsi de Graciano qui ne sait s’il doit choisir entre Dalhia et Arthur. Doit-il choisir ? Est-ce qu’il le faut ? La tendresse et le sexe ont-elles obligatoirement une destination genrée ou est-ce de l’ordre de la culture ? Je pose ici ces questions comme journaliste et non pas au nom de ma radio ou de l’institution ecclésiale dont je suis membre parce qu’elle viennent à l’esprit par rapport au dilemme de certains protagonistes du récit. Un thème déjà abordé en 2004 par Michael Mayer dans A Home at the End of the World (La Maison au bout du monde) avec Colin Farrel et Robin Wright Penn. Et si de manière triviale, il est question de bien « bander », c’est aussi dans la même foulée celle du désir d’un enfant. Qu’est-ce qu’être père ? Qu’est-ce que fonder un foyer. Et à terme, le deuil peut-il permettre d’habiter à nouveau chez soi ? Toutes ces questions traversent Even Lovers Get the Blues et elles se condensent en deux extraterritorialités du film. L’une dans une salle de classe où une élève répond à une question littéraire de sa prof et qui est une mise en abime de ses choix de vie (on vous laisse découvrir cette courte scène à l’écran), l’autre qui est reprise dans la bande-annonce, est au bord d’un lac, la nuit (soit symboliquement l’endroit sans repères) : « Si tu savais qu’une histoire n’allait pas finir bien est-ce que tu la vivrais tout de même ? ».

 Un film qui (me) fait penser à...

Lors de la projection, j’ai vibré à cette déréliction et cette façon de vivre hors normes et hors repères que l’on trouve dans la littérature de Bret Easton Ellis. Et j’avais parfois l’impression d’avoir un film dont le scénario aurait été écrit par Christophe Honoré, celui de Tout contre Léo, Les chansons d’amour, L’homme au bain ou Métamorphoses et réalisé par Alain Guiraudie, celui de Le roi de l’évasion, L’inconnu du lac et de Rester vertical. Non pas que Laurent Micheli copie ou plagie ou soit à comparer à eux en ce premier film, mais que j’y ai vu des affinités de thèmes et de structures.

Enfin, il y a dû y avoir un important travail de préparation avec les acteurs et actrices. Entrer dans de tels rôles, jouer de telles scènes demande une préparation en amont. Il faut prendre du temps pour cela, comme a pu le faire d’ailleurs John Cameron Mitchell pour Shortbus en 2006. Là aussi un film non pornographique avec des relations sexuelles explicites (et bien plus que Even Lovers Get the Blues) qui a nécessité de nombreux ateliers de préparation avec le réalisateur et les acteurs. Il faut aussi relever la qualité de jeu d’interprétation et d’implication de ceux-ci, d’autant que pour interpréter certains rôles aux frontières de la norme bourgeoise et du bien penser, il faut vraiment être bien dans sa peau.

No future ?
Le film n’est certes pas sans défaut, mais l’on sait gré à son réalisateur d’obliger à penser et à jeter un regard sur certains de nos contemporains qui vivent dès à présent le hic et nunc, carpe diem, parce qu’il est possible que ce que l’on voyait jadis s’écrire sur les murs « no future » se réalise ? ...Ou pas !

 Pour prolonger la réflexion


NOTE D’INTENTION du réalisateur (cliquer pour lire)

« Dis-moi comment tu baises et je te dirai qui tu es ».

Even lovers get the Blues traite des relations amoureuses et sexuelles. Avec l’idée que la manière dont les personnages aiment et font l’amour est le reflet de leurs doutes existentiels, de leurs attentes profondes et de leurs névroses.

C’est à travers leur vie sexuelle et amoureuse qu’ils parviendront à résoudre ces questions et à atteindre une forme de liberté.

Comme si tout se jouait dans le lit. Comme si la sexualité était le nerf de la guerre, le révélateur, l’ultime terminaison nerveuse de la personne.

C’est aussi une question de génération : pourquoi les trentenaires actuels (« la première génération dont on nous annonce tous les jours qu’elle vivra moins bien que celle de ses parents. ») ont tant de mal avec les questions amoureuses ?

On assiste actuellement à un retour à la censure, à la pudibonderie, à une forme de haine décomplexée. Manif pour tous, interdiction de l’avortement, question de genre, etc... Comment résister ?

Pourquoi le sexe est-t-il toujours un sujet tabou ? Et pourquoi rend-il parfois les gens insatisfaits ou malheureux ? Quelle influence a le monde d’aujourd’hui sur notre manière d’être à l’autre, sur notre façon d’aimer et de faire l’amour ?

C’est ce côté très contemporain que je veux mettre en avant.

Au niveau de l’écriture, je cherche à produire des dialogues extrêmement vivants, incluant une forme d’improvisation. La musique a une place prépondérante : monologues chantés, séquences de concert ou clips musicaux. Je voudrais que les couleurs des décors-maquillages-costumes de certaines séquences soient vives et saturées.

L’histoire offre aussi une alternance entre une ambiance citadine (appartements, rues, boite de nuit,...) et une ambiance rurale ou bucolique (lac, forêt...) et se déroule sur deux saisons : hiver et été.
Ma recherche de liberté au niveau formel se fait l’écho et le reflet de la recherche de liberté des protagonistes de mon histoire. Les frottements m’intéressent : un côté presque documentaire, caméra épaule et des moments très mis en scène.

Un film moderne, plein de vivacité, en lutte. Tout en étant drôle et léger. Un film pop.


 Bande-annonce :

Even Lovers Get the Blues - OFFICIAL TRAILER
Stenola


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