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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

François Ozon
Eté 85
Sortie le 15 juillet 2020
Article mis en ligne le 11 juillet 2020

par Charles De Clercq

Synopsis : L’été de ses 16 ans, Alexis, lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David, 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ? L’été 85...

Acteurs : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty, Aurore Broutin.

 Un film cannois

Eté 85 aurait dû être présenté au Festival de Cannes si le virus SARS-CoV-2 n’avait pas provoqué la pandémie Covid19 ! C’est donc cet été 2020 que ce film sort sur les écrans et offre, probablement, la quintessence du cinéma de François Ozon ou, du moins, porte à l’incandescence des thèmes et des intuitions qui animaient ses premiers courts-métrages. Si le film doit beaucoup au génie de son réalisateur, il doit tout autant à ses deux interprètes principaux, Félix Lefebvre, dans son premier long métrage (entrevu dans L’Heure de la sortie, et personnage récurrent dans quelques séries) et Benjamin Voisin (Un vrai Bonhomme, La dernière vie de Simon, The Happy Prince, Bonne pomme). Âgés de 20 et 22 ans (ils ont chacun quatre ans de plus que leurs personnages) ils ont tous deux bénéficié d’une formation aux Cours Florent. Il est probable que celle-ci leur a permis de donner une dimension « littéraire » à l’intrigue.

 Avant le film, un roman… grave !

Au départ, il y a un roman anglais de Aidan Chambers, publié en 1982, sous le titre Dance on My Grave (le titre complet est : “Dance on My Grave : a life and a death in four parts, one hundred and seventeen bits, six running reports and two press clippings, with a few jokes, a puzzle or three, some footnotes and a fiasco now and then to help the story along”). Il a été traduit en français sous le titre “La danse du coucou : une vie et une mort en quatre parties…” La page 4 de couverture décrit ainsi le roman “Une vie et une mort en quatre parties cent dix-sept petits morceaux sept semaines et cent dix-neuf repas six rapports circonstanciés et deux coupures de presse avec quelques blagues, deux ou trois devinettes, quelques notes, et un fiasco par-ci, par-là pour faire avancer le récit... Pour que vous puissiez voir comment je suis devenu ce que je suis... Cette mosaïque d’un moi qui fut. Ce mausolée à Deux Défunts.

L’on pourrait penser que présenter ainsi le roman “spoile” fameusement le film. Il n’en est rien, car, tout comme dans le roman, dès la première minute du film, nous savons par la voix off d’Alex/Alexis qu’il y aura un mort, et que c’est de cela qu’il s’agira dans l’histoire qui sera racontée. Alex brisera d’ailleurs le « quatrième mur » en s’adressant au spectateur pour lui signifier que s’il ne veut pas une telle histoire il ne doit pas rester. Tout au plus, celui qui a lu le roman original ou en connaît le titre aura une clé supplémentaire qui ne sera dévoilée qu’après quarante minutes environ.

 Une narration en deux temps !

Toutefois, dès le début du film, nous savons qu’il s’est passé quelque chose de… grave ! Eté 85 se déroule en deux temps : celui de la narration et celui d’avant l’action [et référence est faite ici explicitement à la notion d’agir développée par feue Hannah Arendt (cliquer sur le titre en fin d’article pour voir le développement de ce thème pour ceux qui souhaitent plus de détails, mais ce n’est absolument pas nécessaire pour découvrir Eté 85 !)]

Des faits se déroulent au présent. Ils ont à voir avec une « action » d’Alex qui implique la police, une psychologue, son professeur de littérature (M. Lefèvre, interprété par Melvil Poupaud). Un professeur qui incite (on le découvrira au cours du film) Alex à écrire un récit de « ce qui s’est passé ». Et c’est ce récit qui est l’objet et/ou le sujet du film et de sa narration par Alex. Six semaines et un peu plus entre le moment où il est « sauvé des eaux » par David et celui où la concrétisation d’une promesse l’obligera à relire, ou plutôt écrire sa vie pour un tiers (et pour le spectateur). Un récit où le narrateur anticipera ce qui viendra troubler une relation, en particulier l’arrivée de Kate, la jeune Anglaise (interprétée par l’actrice belge Philippine Velge) ; car il s’est passé quelque chose, concrétisation d’une promesse ou d’un vœu que le spectateur découvre peu avant la moitié du film.

 Des cœurs et des corps se cherchent…

Il apparaitra très vite qu’il y aura une dimension homosensuelle et homosexuelle dans l’intrigue. Dans cette quête des corps et des cœurs, le réalisateur puise probablement dans sa propre adolescence (il avait quinze ans lors de la sortie du roman original et 17 ans à l’été 85 !), mais, plus encore dans certains de ses courts-métrages, en particulier Action Vérité (1994) et Une robe d’été (1996). François Ozon sait filmer les corps adolescents avec tendresse, volupté et pudeur tout à la fois. Sans aller jusqu’à la nudité intégrale, il filme la tendresse et l’amour d’un adolescent et de son ainé de deux ans. Il faut souligner le jeu des acteurs dans des situations qui doivent rendre à l’écran des situations qui peuvent créer un malaise ou un rejet si l’on n’est pas à l’aise avec son corps et sa sexualité. La question a notamment été abordée ici dans la critique de Quand on a 17 ans de Téchiné, s’agissant de réactions de figurants sur le plateau « Alors, il paraît que c’est une histoire de pédés ? » et beaucoup plus explicitement dans celle de Théo et Hugo dans un même bateau.

 Mémoire cinéphile

Si le cinéphile aura reconnu les références aux courts de François Ozon, il sera peut-être tenté par d’autres. Ainsi Les amours imaginaires (Xavier Dolan, 2010) et la relation triangulaire entre Francis, Marie et Nicolas. On y retrouverait respectivement Alex, Kate et David et, plus particulièrement l’ambiguïté de Nicolas/David, d’une part, et de son investissement aux antipodes de celui de Francis/Alex et de sa perception de l’Autre !

Quand on a 17 ans, déjà cité reviendra probablement à la mémoire, à la fois pour l’âge des protagonistes que pour la réaction d’une mère (songeant ainsi à Mme Gorman, jouée par Valeria Bruni Tedeschi), de même que Call Me by Your Name, pour un amour d’été que le cadet voudrait éternel au contraire de l’ainé, film également adapté d’un roman. Tout comme Elio, Alex aime, un point c’est tout, et cet amour est éternel et les promesses, pour insensées qu’elles soient, doivent être tenues (pour faire le deuil ?). Et, pour avoir revu récemment Crash de David Cronenberg en version restaurée, ce film peut venir à l’esprit lorsque David parle de la différence entre « aller vite » et « la vitesse » et de son rêve de voir l’un et l’autre se rejoindre !

La bande originale du film signée des années ’80 : In Between Days (The Cure) ; Chercher le garçon (Taxi Girl) ; Toute première fois (Jeanne Mas) ou Cruel Summer (Bananarama) ajoute à l’ambiance du film en le plaçant dans le contexte de ces années-là. Et tout particulièrement Sailing chanté par Rod Stewart à deux moments du film, la scène de dancing d’abord et LA scène-clé enfin peut faire penser au rôle que joue My Way dans une des scènes clé de Nocturama de Bertrand Bonello. A noter que dans le roman, la danse du coucou (ici transposée par Sailing) fait référence au générique de Laurel et Hardy qui fait « tik tak tok » qui est importante, et ressemble à un coucou (source).

Enfin, le cinéphile appréciera de retrouver le grain de la pellicule, d’autant plus prégnant que le film est tourné en Super 16. Dans le cas présent, il ne s’agit pas de pure coquetterie, mais de retrouver à la fois l’époque de l’action, mais également le charme désuet de vacances, de ces six semaines où l’imaginaire fait que l’autre que je rêve n’est pas lui ! Mais n’est-ce pas une constante qui enrichit et empoisonne l’Amour d’une même geste !?

Lien vers la critique de Julien

 Affiche et bande-annonce

https://www.youtube.com/embed/JLaZBRT6Ev4
ÉTÉ 85 Bande Annonce (2020) François Ozon, Film Français - YouTube

 Entretien avec François 0zon et Félix Lefèbvre

https://www.youtube.com/embed/-gPgvvrLjVI
ÉTÉ 85 : Entretien avec FRANÇOIS OZON & FÉLIX LEFEBVRE - YouTube

 Pour le fun : un ’blind test’...

avec Benjamin Voisin, Félix Lefebvre & Philippine Velge sur la chaine Youtube horssceneofficiel :

https://www.youtube.com/embed/-RdafMXnd0A
#OZON "Été 85" Benjamin Voisin, Félix Lefebvre & Philippine Velge • Blind test 1985 - YouTube

 L’action... en mode érudition !


L’action et ses conséquences selon Hannah Arendt !

Pour Mme Arendt, l’action est l’« activité » qui met directement en rapport les hommes sans la médiation des objets ni de la matière. Nous sommes dans le domaine des hommes agissants. Le pluriel est nécessaire parce qu’ici, la condition humaine est la pluralité. Il ne s’agit cependant pas du face-à-face intersubjectif relatif au domaine privé, car on se situe essentiellement dans la zone publique, collective. Ce sont DES hommes et non pas l’homme qui vivent sur terre et habitent le monde. Si tous les aspects de la condition humaine ont « à voir » de l’une ou l’autre façon avec le « politique », c’est la pluralité qui sera spécifiquement la condition de toute vie proprement politique. Toutefois, il y aura un renversement à la modernité. Ce sera l’homo faber qui sera placé au sommet de l’échelle, ce que Marx théorisera a posteriori. Malheureusement Marx voit homo faber et non homo activus ! C’est pourquoi le travail sera ambigu chez Marx puisqu’il est à la fois source d’aliénation et de libération !

Pourtant, malgré la peur qu’il fait naître, l’agir serait la plus humaine des activités. L’auteur caractérise l’action par l’imprévisibilité et l’irréversibilité. Quand j’ai parlé et/ou agi (par exemple lancé un mouvement de grève à Dansk… ou promis une danse à David Gorman), je ne sais pas faire que je n’aie pas parlé ou agi d’une part, et je ne sais pas où cela conduira, d’autre part. En ce sens, le tragique de l’existence humaine est lié à l’irréversibilité de l’action.

Dans son étude sur l’action, l’auteur développe deux de ses caractéristiques : l’irréversibilité et l’imprévisibilité. Elle écrit ainsi : « contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du processus déclenché par l’action, le remède ne vient pas d’une autre faculté éventuellement supérieure, c’est l’une des virtualités de l’action elle-même. La rédemption possible de la situation d’irréversibilité - dans laquelle on ne peut défaire ce que l’on a fait, alors que l’on ne savait pas, que l’on ne pouvait pas savoir ce que l’on faisait - c’est la faculté de pardonner. Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la capacité de faire et de tenir des promesses. Ces deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les »fautes« sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; l’autre qui consiste à se lier par des promesses, sert à disposer dans cet océan d’incertitude qu’est l’avenir par définition, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux (p. 266) ».




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