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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Paul Verhoeven
Elle
Sortie le 25 mai 2016
Article mis en ligne le 23 avril 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d’une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d’une main de fer. Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s’installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.

Acteurs : Isabelle Huppert, Virginie Efira, Laurent Lafitte, Charles Berling, Anne Consigny, Christian Berkel et... Jonas Bloquet.

Elle est le fruit de la rencontre de Paul Verhoeven, un réalisateur hollandais que d’aucuns considèrent comme sulfureux et de Philippe Djian, un romancier français, que beaucoup connaissent par l’adaptation de 37°2 le matin (1985) au cinéma. En 2012, Djian obtient le Prix Interallié pour son roman Oh. Thriller érotique surprenant qui raconte l’histoire de Michelle sur une durée de trente jours. Le roman comprend un seul chapitre suivi d’un deuxième ou plutôt d’un épilogue qui tient sur les neuf dernières pages. Un récit à la première personne où l’auteur se glisse dans le corps, les mots, la pensée d’une femme qui a été violée. Son aîné de onze ans se réapproprie - assez librement - cette histoire en confiant à Isabelle Huppert le rôle de l’étonnante quinquagénaire. Que vaut ce retour au cinéma de Verhoeven dix ans après son dernier long métrage Black Book ? Notons qu’il y avait eu une parenthèse en 2012 avec la réalisation du moyen métrage expérimental Tricked (Entertainment Experience) « réalisé » sur un mode proche du Crowdsourcing ? [1]

Il faut prendre le temps d’entrer dans le film d’une durée de 2h10. A plusieurs reprises nous nous sommes demandé où le réalisateur voulait en venir (nous n’avions pas lu Oh avant la vision du film mais nous nous sommes rattrapé les jours qui ont suivi la vision). Nous pensions, au début, que Verhoeven était bien loin de ses œuvres sulfureuses, tant celles de jeunesse que des suivantes, de sa période américaine. C’était à un tel point que nous avions eu la tentation de quitter la salle après trois quarts d’heure qui nous en ont paru beaucoup plus. Nous sommes resté jusqu’au générique final et ne regrettons absolument pas de n’avoir quitté la salle qu’après les dernières images. L’effort mérite d’être fait. Nous nous sommes souvenu de Chantal Akerman qui disait que si, à la sortie d’un film, le spectateur (se) dit qu’il n’a pas vu le temps passer, c’est qu’on lui a « volé » son temps (voir ici). Le temps du film peut sembler long. Une logique cartésienne le ferait tenir en un peu plus d’une heure trente où tout pourrait être dit. Ce serait cependant une erreur, car il faut cette durée pour passer d’une certaine banalité de situation (malgré le viol inaugural/initial) à une mise en perspective qui nous oblige à revoir autrement les uns et les autres dans de surprenants retournements de situation. Bien plus, le film gagnera a être revu car aucun des plans de Paul Verhoeven n’est superflu et chacun d’eux, comme le film lui-même, nous mène sur une ligne de crête où l’horreur se fait quotidienne et banale, d’une part et où la priorité de l’homme sur la femme est radicalement inversée, d’autre part.

Les premières images du film n’en sont pas. C’est que nous entendons des bruits, des cris avant de prendre conscience, grâce aux images qui suivent, d’une intrusion dans une maison. Sous le regard d’un chat sans réaction (l’héroïne le lui rapprochera plus tard : Tu n’as rien fait, tu aurais au moins pu griffer !), un homme en noir, le visage caché par une cagoule (de ski ?), viole une femme à terre tentant sans succès de se défendre. Du viol, nous verrons ensuite une image symbolique : Michelle, dans une baignoire, la mousse du bain formant un moment un triangle sanglant qui remonte à la surface et avec lequel elle joue. Cet événement aura des conséquences surprenantes : la femme ne déposera pas plainte, mais se fera faire un test de dépistage du sida et demandera seulement un changement des serrures. Tout au plus sera-t-elle sur le qui-vive dans son appartement. Mais cette femme d’entreprise qui mène ses employés et collaborateurs à la baguette est en tension avec certains de ceux-ci et couche avec le mari de sa meilleure amie.

Michelle est cependant en quête de son agresseur et vient à soupçonner quelqu’un de son entreprise et ira jusqu’à payer chèrement un de ses subalternes, geek parmi une équipe de geeks, de trouver la personne qui a détourné un jeu vidéo pour la mettre en images de synthèse dans une scène de viol par un des monstres du jeu. Nous vous laissons le (dé)plaisir de découvrir le résultat de cette enquête, d’autant plus passionnante que l’agresseur laisse des traces de son passage dans la maison de Michelle et que celle-ci semble s’émouvoir à la vue de Patrick (Laurent Lafitte) un de ses voisins dont l’épouse est hypercatho !

Ajoutons à cela Irène, la mère de Michelle (interprétée par Judith Magre, née en 1926), une véritable cougar qui a des relations avec des hommes trentenaires et qui vit avec un gigolo dont elle dit au grand dam (et drame) de sa fille qu’elle envisage de l’épouser (et qui la menace de la tuer si elle passe aux actes). Pour parfaire le tableau, Vincent, le fils de Michelle veut s’installer avec une jeune fille qui semble lui avoir mis le grappin dessus et le mener par le bout du nez. Il faut relever ici que c’est l’acteur Jonas Bloquet qui joue le rôle de ce fils. Un acteur qui débuta sa carrière en 2008, alors qu’il était un jeune homme totalement inconnu âgé de 16 ans environ lorsque Joachim Lafosse l’intégra au casting d’Elève Libre pour en faire, Jonas, son personnage principal ! Et l’on peut dire que Jonas réussit son coup d’être un homme dominé par son épouse au point de ne pas voir lors de la naissance de son enfant que celui-ci est basané et qu’il doit tenir de son meilleur pote qui est noir et à ses côtés à la maternité. Michelle tente sans succès d’ouvrir les yeux de son fils qui ira jusqu’à kidnapper le « sien » !

Il y a donc ce fils de Michelle qui est reconnaît être père sans l’être biologiquement alors qu’elle ne reconnaît pas son propre père charnel. Serial killer, emprisonné pour avoir tué septante enfants dans un club Mickey (mais aussi des adultes et des animaux) puis boutant le feu à son mobilier avec l’aide de sa fille (histoire qu’elle se complaira à raconter à Patrick son voisin). Michelle est alors âgée d’une dizaine d’années et les médias ne retiendront qu’une photo d’elle à côté d’un bucher, le visage hagard, les yeux qui la font paraître folle. Et lorsque le passé sera loin derrière elle, beaucoup plus tard, lorsqu’elle aura renié ou rejeté père et mère, quelles cendres lui resteront de son passé ?

Elle, Michelle, est donc au centre d’Elle. La relation avec sa mère, sa meilleure amie, son personnel, son fils, son voisin (et ses tentatives de séduction, ainsi un étonnant jeu de pieds sous la table !), mais également la recherche de son violeur. Qui est-il ? Que veut-elle lui faire (payer) ? Sa quête est-elle saine et quel jeu veut-elle jouer ? L’identité de l’agresseur est connue de ceux et celles qui auront lu Oh. Pour les autres, certains devineront très vite tandis que d’autres attendront de voir se confirmer (ou pas) une de leurs hypothèses. Notons cependant que la quête de l’identité du violeur est seconde, voire secondaire dans le film (tout comme dans le roman). Certains auront très vite trouvé son identité mais celle-ci n’a aucune importance car tout se joue dans la façon dont Michelle vit la chose.

Pour conclure, ce film est probablement un des meilleurs de Paul Verhoeven. L’on retrouve dans cette adaptation des tropismes vénéneux de sa période hollandaise (et s’il n’y a pas les audaces qu’il se permettait dans certaines images de violences sexuelles, le trait est encore plus marqué par ces manques) associés à d’autres, sulfureux, de sa période américaine. Nous aimons beaucoup le cinéma de Paul Verhoeven, y compris ses films qui n’ont pas soulevé l’enthousiasme critique. Au risque de partialité, nous ne pouvons qu’exprimer ici le plaisir d’avoir découvert son dernier film dont la présence à Cannes est on ne peut plus justifiée. Les acteurs magnifient le film et lui donnent sa couleur, tout particulièrement Isabelle Huppert qui était une des rares, si pas la seule, à pouvoir incarner le rôle de l’héroïne. Il ne faudra pas oublier non plus Jonas Bloquet dans un étonnant second rôle (On lira avec intérêt son interview dans La Libre, consacrée à sa « première fois » au cinéma - source du PDF) lui qui avait joué le rôle - son tout premier - de Jonas dans le très trouble et troublant Elève libre de Joachim Lafosse.

François Xavier termine sa critique du roman Oh... sur le site Salon Littéraire par ces mots : « Forte et faible, cette héroïne est l’étendard de toutes ces femmes victimes de la folie des hommes et qui parviennent à ressusciter, les voilà désormais vénérées sur un autel de papier. »

Paul Verhoeven offre ici à son héroïne - grâce à l’interprétation magistrale d’Isabelle Huppert - un nouvel autel à la dimension d’une toile de cinéma, réalisé par un maître des femmes !

Elle (Paul Verhoeven 2016) : bande annonce HD
Elle (Paul Verhoeven 2016) : bande annonce HD
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