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CINECURE
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Peter Greenaway (2015)
Eisenstein In Guanajuato (Que Viva Eisenstein !)
Avant première à Bozar le 6/7/15 et sortie le 8 juillet 2015
Article mis en ligne le 5 juillet 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : En 1931, fraîchement éconduit par Hollywood et sommé de rentrer en URSS, le cinéaste Sergueï Eisenstein se rend à Guanajuato, au Mexique, pour y tourner son nouveau film, Que Viva Mexico ! Chaperonné par son guide Palomino Cañedo, il se brûle au contact d’Éros et de Thanatos. Son génie créatif s’en trouve exacerbé et son intimité fortement troublée. Confronté aux désirs et aux peurs inhérents à l’amour, au sexe et à la mort, Eisenstein vit à Guanajuato dix jours passionnés qui vont bouleverser le reste de sa vie.

Acteurs : Elmer Bäck, Luis Alberti, Maya Zapata, Lisa Owen, Stelio Savant.

Avant-première : Le film sort sur les écrans le 8 juillet mais Genres d’à Côté / Pink Screens Film Festival a organisé une avant-première le lundi 6 juillet à 20h00 à BOZAR.

Peter Greenaway est à la tête du projet consacré l’an dernier à l’Age d’or de l’Avant-garde russe. Avec son épouse Saskia Boddeke, il a mis en œuvre des techniques visuelles très avancées.

Si Meutre dans un jardin anglais (The Draughtsman’s Contract, 1982) est connu, on n’hésitera pas à se tourner vers Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (The Cook, the Thief, his Wife and her Lover, 1989) ; The Pillow Book (1996) ou 8 femmes ½ (8 1/2 Women, 1998) pour se faire une idée du génie, de l’invention et de l’art de la composition et du montage de Greenaway. sans oublier le très surprenant Goltzius and the Pelican Company en 2012. A visionner après -voire avant - Eisenstein In Guanajuato ! Bien que son œuvre soit très empreinte de noirceur, l’humour britannique, pince-sans-rire et l’humour noir, y sont très présents. Son travail n’est pas sans rapport avec la pataphysique et l’Oulipo ; lui-même n’y fait pas référence explicitement, mais il a déjà reconnu l’influence sur lui d’Italo Calvino, membre de l’Oulipo. Greenaway utilise souvent la contrainte numérique comme élément de structuration de certaines de ses œuvres. Ses films sont axés sur l’art en général (peinture, architecture, musique...) et révèlent souvent une fascination pour la couleur et les nombres. Les œuvres, sombres et cruelles, privilégient la lenteur et la beauté de la mise en scène au point de créer un certain malaise chez le spectateur. [1]

Ici aussi, Greenaway sera inventif, à l’image de celui dont il veut rendre compte à l’écran. En effet Eisenstein (1898-1948) - c’est de lui qu’il s’agit - est un grand cinéaste soviétique. Nombre de ses films sont considérés comme des chefs d’œuvres. Certains ont bouleversé le monde du cinéma. Ici, ce sont dix jours à Mexico qui nous sont narrés et ce sont eux qui vont bouleverser Eisenstein et probablement certains spectateurs ! Pour certains d’entre eux, la surprise sera de taille !

Le film débute en noir et blanc et se déploie ensuite en couleurs, mêlant des images d’archives, des dessins - dont certains pornographiques - créés par cet homme d’exception, le partage d’écran... Bande-son et montage sont au service d’une œuvre flamboyante qui se voulait au départ purement documentaire. Greenaway a finalement opté pour la fiction, même si Eisenstein In Guanajuato garde par certains aspects un lien avec cette origine documentaire. C’est dire qu’à côté du « réel » il y a une part de « création » ou du moins de reconstruction. Est-ce à dire cependant que des choses sont « fausses » ? Est-ce que son goût pour les chaussures ou le fait de jouer avec des fourchettes est vrai ? En fait, tout cela est de peu d’importance. Songeons aux récits évangéliques qui sont avant tout des apologies et des constructions théologiques qui visent à rendre compte du « vrai » et, dans le cadre cinématographique - où nous sommes, là aussi, dans « l’art de la narration » - des films comme Taxi Teheran ou While We’re Young qui soulèvent aussi la question du rapport à la « réalité » [2].

Greenaway, en mettant en scène une relation homosexuelle, celle d’Eisenstein, joué par Elmer Bäck, avec Palomino Cañedo, son guide local, interprété par Luis Alberti, n’hésite pas à mettre ses acteurs à nu, y compris dans une relation sexuelle torride et profonde (simulée pour le film !).

Il faut mettre en avant ces acteurs (principaux comme seconds rôles) qui sont au service d’une œuvre et du projet du réalisateur. Pas simple de trouver des interprètes dans de telles conditions de tournage, d’autant que les conditions étaient strictes. « Je cherchais un acteur prêt à me confier temporairement son cœur, son âme, son esprit, son corps et sa queue pour dresser le portrait d’un homme on ne peut plus humain, mis à nu, aussi bien émotionnellement que physiquement – vomi, merde, pleurs, baise, sueur et hurlements compris ». Il fallait aussi que l’acteur ne soit pas un Adonis, ce que n’était pas Eisenstein. Elmer Bäck [3] apparaît transcendant dans ce rôle d’un homme qui découvre qu’il est sexué. Dans le rôle de celui qui l’initie et le domine, l’acteur mexicain Alberti [4] entre véritablement dans la peau de son personnage.

Si le fait de voir des nus frontaux et une relation homosexuelle à l’écran (dans un lit - mais pas que - à la taille gigantesque) vous met mal à l’aise, mieux vaut éviter d’aller voir le film. Toutefois, il ne faut pas non plus cantonner sa vision à un public queer. En effet, Peter Greenaway nous propose ici une œuvre fascinante, esthétique, cinématographique qui ne peut que nous inviter à (re)découvrir ses autres films mais aussi ceux de Sergei Eisenstein !

Pour prolonger la réflexion, vous pouvez lire :



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