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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Amélie van Elmbt
Drôle de père
Sortie le 22 novembre 2017
Article mis en ligne le 8 octobre 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Après cinq années d’absence, Antoine revient à Bruxelles, décidé à affronter son passé. Il frappe à la porte de Camille, la femme qu’il a aimée et la mère de leur petite fille Elsa, qu’il n’a jamais rencontrée. Lorsqu’il arrive, Camille est sur le point de partir pour un voyage d’affaires important. Elle attend la baby-sitter qui tarde à arriver. Camille panique et demande à Antoine d’attendre la baby-sitter cinq minutes pour ne pas rater son avion. Pris au dépourvu, Antoine accepte. Il est bien loin de s’imaginer que la baby-sitter n’arrivera jamais et qu’il va se retrouver seul face à sa fille pendant trois journées d’été.

Acteurs : Thomas Blanchard, Judith Chemla, Lina Doillon, Alice de Lencquesaing, Xavier Seron.

NB : Les titres 1 et 2 sont un débat de, entre et pour des critiques.
L’internaute qui désire en savoir plus sur le film passera donc directement au troisième titre.

 1. Critique avant et après le film !

Le film — parrainé par Martin Scorsese — a été projeté lors du 32e Festival du Film International du Film Francophone de Namur 2017. Il y a obtenu le Prix Cinevox et Prix de la critique UCC/UPCB. C’est fort de cette information que nous nous préparions à la vision presse. Donc plus vraiment neutre et, en même temps cela place la barre un peu plus haut dans l’attente d’un critique... Jusqu’à la douche froide lorsqu’un confrère réputé dit avant la projection à l’attaché presse, en substance, que le film ne vaut rien. Deux regards totalement différents donc, un peu comme ceux que peuvent parfois avoir les revues professionnelles Positif et Les Cahiers du Cinéma en France !

Quelques heures plus tard, le même confrère répond à notre enthousiasme par « c’était un film insignifiant ». Le lendemain, un cinéphile de nos amis écrit : « Je suis personnellement extrêmement surpris par le double prix attribué à Drôle de père... Je lirai ta critique avec beaucoup de curiosité ». Il précise, suite à nos échanges « pour moi (aussi) le film est incroyablement inconsistant ».

Comment faire écho à ce film qui suscite des perceptions radicalement différentes, contradictoires même ? Trois membres de la presse que nous connaissons ont primé ce film à l’unanimité ! Pour avoir été membre de plusieurs jurys presse nous savons que l’exercice est fait avec sérieux, que les débats prennent en compte divers éléments, et que le jury argumente durant sa délibération. Il doit en être de même pour le jury CINEVOX : quatre personnes âgées de 26, 30, 35 et 36 ans, encadrées par un journaliste, Aurélien Ferenczi ont primé ce film avec la même unanimité !

 2. Un film insignifiant ?

Nous supposons que le mot n’est pas ici l’antonyme de signifiant, le concept créé en linguistique par Ferdinand de Saussure où il montre que le signifié et le signifiant sont les deux faces complémentaires du concept de signe linguistique (d’après Wikipedia). En effet, nous avons entendu : « ne vaut rien » et en tout cas « pas la peine de faire un film ». Nous entendons donc « banal ». Mais s’agit-il de l’intrigue, du scénario, de la réalisation, du jeu des acteurs ? Plus le temps avance, plus le film se distille en nous, plus nous comprenons le choix des jurés (mais nous n’avons pas vu les autres films), mais aussi les réactions qui s’y opposent.

C’est une expérience que nous avons vécue avec d’autres films, ainsi Low Notes de Laurier Fourniau ou encore Even Lovers Get the Blues de Micheli. Il ne s’agit pas des thèmes abordés dans l’un et l’autre de ces films, ni même de l’ambiance à la Brett Easton Ellis que nous y trouvions, mais, plus trivialement, de ce qui y apparaissait terriblement banal. Est-ce qu’« insignifiant » ne serait pas employé ici pour décrire ce qui est perçu comme banalité ?

Si tel est le cas, cela rejoint une expérience fondamentale que nous vivons « professionnellement » comme prêtre appelé à célébrer régulièrement des funérailles. Au terme de la vie, combien de jours n’apparaissent-ils pas comme banals ? Combien de journées ne terminons-nous pas en nous posant la question de ce que nous avons bien pu faire ? Rien qui sorte de l’ordinaire, rien de remarquable ? Rien qui, en somme, distingue l’humain de l’animal : manger, boire, dormir (se reproduire), survivre ! Rares sont les moments de fulgurances où l’on peut graver des choses à garder pour la postérité. C’est ce qui constitue le fondement même de notre humanité : ce qui en nous est animal et tente de se maintenir en vie. La banalité du quotidien. Mais dans celle-ci, il est parfois quelque chose qui vient changer la donne, où nous pouvons agir, au sens où l’entendait Hannah Arendt en 1958 dans La condition de l’homme moderne, parlant de l’homo agissans, le distinguant de l’homo faber [1]. L’agir, l’action (différente donc de la fabrication) c’est ici l’humain qui par la parole, notamment, et par tout ce qui est humain en lui, au-dessus de sa condition animale donc, va lui permettre de dessiner, créer un avenir dont il ne peut mesurer les conséquences. Pour reprendre la catégorie de Mme Arendt, celles-ci sont de deux ordres : irréversibles et imprévisibles. Et c’est sur cette banalité on ne peut plus quotidienne, sur cette « insignifiance » de la vie, que « quelque chose va se passer » qui aura des conséquences imprévisibles et irréversibles !

 3. Il s’est passé quelque chose !

C’est donc la « banalité » — dans le sens évoqué plus haut — que nous avons vécue ce deuxième film de Amélie van Elmbt ! Il commence par une scène... banale : une mère pressée attend la baby-sitter qui gardera sa fille Elsa. Pour le reste, tout est écrit dans le synopsis ci-dessus qui malheureusement en dit trop sur les intervenants. En effet, il faut prendre le temps de découvrir ce qui se vit là, et qui s’exprime sans mots entre un homme et une femme des deux côtés d’une porte entrouverte. Peu de mots sont échangés. La surprise est là : l’inattendu de la visite d’Antoine. Ensuite, après quelques secondes, un éclat de rire de Camille ! Ce rire n’est pas banal, il est une sorte de jugement et de condamnation d’un passé, de quelque chose qui a eu lieu qui semble commun. Il y a un passé. Il s’est passé quelque chose que l’on comprendra durant le film et qui ne sera jamais formellement expliqué au spectateur. Il y a une blessure chez Antoine, peut-être aussi chez Camille, mais son rire est celui qui juge, qui remet du sel dans les plaies et qui condamne définitivement. Antoine voulait parler à Camille, celle-ci n’a rien à lui dire. Face à ce déni il ne peut que partir et fuir après avoir vu l’homme qui accompagnera Camille et qu’Elsa appelle « papa » après le départ d’Antoine. Vu que la baby-sitter tarde, Camille va rattraper in extremis Antoine pour lui demander d’attendre celle-ci quelques minutes.

Bien sûr (et l’on s’en doute depuis le début) la baby-sitter ne viendra pas ! Et Antoine va devoir s’occuper d’Elsa. On aura compris aussi qu’il s’agit de sa fille. Ce sont ces trois jours qu’il nous sera donné de vivre avec ces deux-là. Trois jours qui seront formatés par le hasard de quelques incidents [la maman d’Antoine ne veut plus rester dans son home ; lui-même doit gérer la reprise d’un restaurant - le film nous le montre excellent cuisinier - ou encore demander l’aide de son frère (Xavier Seron)] sans compter l’oubli des clés de l’appartement de Camille qui oblige Antoine à héberger Elsa. Il faudra encore se déplacer à Namur et à Ostende. Bien entendu le critique aura compris qu’il fallait tourner dans ces deux lieux en plus de Bruxelles pour faire droit au financement du film, mais ces déplacements ne nuisent pas à l’intrigue, que du contraire. Plutôt qu’un huis clos de trois jours, ce seront autant d’échanges, de rencontres, d’instants de bonheur et d’interrogation d’un homme « en quête de paternité ». Ce sera pour Antoine, un test de paternité, « in vivo » !

Entre Elsa et Antoine, il s’est passé quelque chose durant ces trois jours ! Quel que soit le contentieux avec celle qui est la mère de l’enfant, ces trois-là en seront affectés. Pas de pseudo happy end pour clore le film, pas de porte de sortie, si ce ne sont des larmes qui renvoient à un passé qui aurait pu construire un autre avenir. Le test de paternité est réussi, de maturité également. Il restera aux uns et aux autres à tenter de vivre, chacun selon sa voie, certains porteurs d’un secret qui les a réunis quelques jours et qu’il pourront porter dans leur cœur.

 4. Deux acteurs talentueux

Nous avons été séduit aussi par le jeu et le talent des deux acteurs principaux. A commencer par la fille de la réalisatrice qui interprète la petite Elsa : Lina Doillon dont c’est le premier rôle au cinéma. Son interprétation est « d’une rare justesse » face à Thomas Blanchard que nous avions vraiment découvert dans Préjudice. Comme le résume le jury de la Critique qui a retenu le film « pour sa finesse et son empathie sans pathos ». Thomas Blanchard arrive à donner une humanité touchante à cet homme fragile et émouvant qui doit gérer une situation imprévisible, se découvrir père et assumer cette paternité. Là où dans le film d’Antoine Cuypers, l’acteur enchainé dans son drame pouvait exprimer sa souffrance jusque dans l’excès, il se révèle ainsi dans un registre plus émouvant, profondément humain, oserait-on : banalement humain ? L’absence de la baby-sitter a entrainé une situation imprévisible. Les conséquences pour les protagonistes sont irréversibles. Impossible de revenir en arrière ! Vous avez dit « insignifiant » ?

Lien vers la critique de Julien Brnl



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