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CINECURE
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Stina Werenfels (2015)
Dora oder Die sexuellen Neurosen unserer Eltern
Sortie au BRFF le 10 juin à 21h30 (Flagey 4)
Article mis en ligne le 12 juin 2015

par Charles De Clercq

Présentation : Quand une mère décide d’arrêter le traitement de sa fille de 18 ans souffrant d’un retard mental, celle-ci sort d’un sommeil profond. Dora découvre son corps, sa sensualité et surtout, sa sexualité. Ses parents, habitués à un enfant en permanence amorphe, se perdent dans ce réveil soudain et brutal. D’autant plus que Dora a rencontré un homme et en est tombée amoureuse. Cette courageuse, sensible et percutante adaptation de la pièce de Lukas Bärfuss bouscule, dérange, interroge nos plus profondes certitudes sur la sexualité et la paternité. Victoria Schulz incarne cette Dora avec brio. Sans aucun doute une actrice à suivre, aussi remarquable dans Rough Road Ahead, présenté en Panorama.
Ci-contre, la réalisatrice, Stina Werenfels.

Acteurs : Victoria Schulz, Jenny Schily, Lars Eindinger.

Stina Werenfels s’attaque ici à un sujet délicat et quasiment tabou : la sexualité des personnes handicapées mentales. On pouvait dès lors s’attendre au pire : virer dans le kitch, la spiritualisation, la moralisation ou le sordide. Rien de tout cela. Non seulement la réalisatrice ne condamne ni ne moralise son propos, mais les acteurs et actrices sont véritablement au service d’une intrigue et d’un scénario tirés au cordeau. Tout particulièrement la jeune Victoria Schulz dont c’est ici le deuxième rôle après celui de Ruby, dans le remarquable Rough Road Ahead (mise à jour : qui a obtenu le Golden Iris Award (meilleur film) au BRFF 2015). L’actrice habite cette jeune fille majeure aux yeux de la loi, mais si jeune encore dans sa sortie d’une camisole médicamenteuse d’une part et son éveil aux sens, au sexe et à l’amour.

Alors qu’elle s’avance candide vers un avenir qu’elle ne peut appréhender, ses parents sont confrontés à cet éveil à un autre monde et, en même temps, à leur impossibilité de mettre au monde un deuxième enfant. Kristin (Jenny Schily) et Felix (Urs Jucker) vont devoir affronter une crise qui leur parait majeure : leur fille a été abusée par un homme. Nous spectateurs savons comment Dora est entrée en relation avec Peter (Lars Eidinger). Cet acteur est bluffant dans un rôle excessivement difficile tant il est susceptible de conduire à l’antipathie de la part des spectateurs. La relation évoluera, et Dora retrouvera celui que ses parents et d’autres considèrent comme l’abuseur et l’agresseur, non pas d’un enfant puisque Dora est majeure et n’est pas sous tutelle, mais d’une personne qui n’est pas en possession de tous les moyens intellectuels qui lui permettraient de prendre une décision en connaissance de cause.

La relation entre Dora et Peter est beaucoup plus complexe qu’on pourrait le penser ou craindre. Tout d’abord, c’est Dora qui pousse Peter dans ses (derniers) retranchements. Bien sûr, on peut se dire qu’il lui suffirait de dire non, puisque c’est lui l’adulte (cf. Un moment d’égarement de François Richet). Mais dans ce remake, Louna est mineure, tandis qu’ici Dora est majeure. Majeure, demandeuse et consentante ! On se dira que justement là est le problème que son consentement est tout sauf plein et entier et surtout conscient. Mais au risque de glisser sur une piste dangereuse, est-ce que même de « vrais » adultes sont conscients, pleinement et entièrement dans une relation amoureuse. Parfois les hormones et les pulsions sexuelles sont telles qu’elles obscurcissent le jugement. Si l’amour est aveugle, est-ce qu’il n’aveugle pas également ?

C’est que, alors même que ses parents connaissent maintenant Peter, qu’ils tentent de le dissuader de revoir Dora, celle-ci imperturbable va le retrouver (dans son lit). Peter va faire un itinéraire : depuis un « coup à tirer » dans l’anonymat, sans lendemain, puisque la femme est diminuée mentalement, jusqu’à une certaine tendresse, en passant par la curiosité, la sexualité pure et dure sans engagement, y compris le partage avec un pote. Et là, justement, est le déclic pour Peter qui comprend que Dora ne veut pas d’un autre que lui et met son copain à la porte. Clé de lecture aussi pour nous qui découvrons que Dora, poussée par un désir hypersexualisé n’est pas enfermée par celui-ci. Elle est capable de dire non et de choisir : c’est Peter qu’elle aime et pas un autre. Malgré le sexe proposé, malgré son désir, elle montre, à sa mesure, de faire un choix. Sa mesure n’est pas celle d’une autre, mais notre vie nous permet de découvrir autour de nous tant d’hommes et de femmes, en possession de tous leurs moyens, qui n’ont pas fait le bon choix. Pouvons-nous juger Dora ?

Reste une question, cruciale. Celle de la procréation. Dora est enceinte et malgré les moyens contraceptifs elle mènera une grossesse à terme. Pourra-t-elle s’occuper de son enfant ? Faute d’avoir pu avorter, le premier risque sera pour le nouveau-né et le film nous montre clairement quelques-uns des dangers. Au plan pastoral j’ai été confronté aussi à de telles situations : ainsi, des parents ont fait ligaturer les trompes de leurs filles, handicapées mentales et hypersexualisées, pour éviter tout problème et sans qu’elles soient conscientes de la raison de l’hospitalisation.

Je voyais, comme porte de sortie de l’impasse, l’adoption de l’enfant par les parents de Dora puisqu’ils veulent un enfant sans plus pouvoir concrétiser ce désir. Ce n’est pas la solution proposée par la réalisatrice qui a, je suppose, été fidèle à la pièce de théâtre qu’elle adapte ici.

Le film se termine par un trip sous stupéfiants de la mère, dans une boîte assez chaude où elle travaille. Elle aussi s’éveillera à ses fantasmes sexuels. Elle aussi, dans ces circonstances, ne possède pas tous ses moyens, un peu, mutatis mutandis, comme Dora.

Diaporama

Bande-annonce :

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Making-off en VO allemande :

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