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CINECURE
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Teona Strugar Mitevska
Dieu Existe, son Nom est Petrunya
Sortie du film le 31 juillet 2019
Article mis en ligne le 31 juillet 2019

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • cinquième long métrage de la réalisatrice et scénariste macédonienne Teona Strugar Mitevska, laquelle a créé en 2004, avec son frère Vuk et sa sœur Labina, la société de production Sisters And Brothers Mitevski, qui a notamment produit ses longs-métrages ;
  • Prix du jury œcuménique de la Berlinale 2019, qui est décerné par un jury indépendant composé de chrétiens ;
  • s’inspire d’un fait divers datant de 2014, et s’étant déroulé en République de Macédoine du Nord.

Résumé : A Stip, petite ville de Macédoine, tous les ans au mois de Janvier, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés à celui qui y parvient.
Ce jour-là, Petrunya se jette à l’eau sur un coup de tête et s’empare de la croix avant tout le monde.
Ses concurrents sont furieux qu’une femme ait osé participer à ce rituel. La guerre est déclarée mais Petrunya tient bon : elle a gagné sa croix, elle ne la rendra pas.

La critique de Julien

Chaque année, au moment de l’Épiphanie, des centaines d’hommes se jettent dans les eaux froides des rivières et lacs de la République de Macédoine du Nord, afin d’y récupérer une croix sacrée lancée par les popes ; des prêtres chrétiens orthodoxes. Cette tradition, vieille comme le monde, symbole l’acte du baptême de Jésus-Christ, ainsi que l’acceptation de la religion orthodoxe. Pour celui qui attrape cette croix, cela représente une année heureuse, ainsi qu’une belle médiatisation, dans l’un des États européens les plus pauvres et fragiles, tandis que plane sur le film les restes difficiles de son indépendance en 1991 de la Yougoslavie. Alors que les femmes ne sont pas autorisées à participer à l’événement, en 2014, l’une d’elle a pourtant attrapé la croix dans la ville de Stip, à l’est du pays, tandis que son geste a provoqué un tollé sans précédent. « Dieu Existe, son Nom est Petrunya », le nouveau film de Teona Strugar Mitevska, réalisatrice et scénariste macédonienne installée à Bruxelles, s’inspire de cette affaire, dans un film qui en dit long et large sur notre société et la religion.

Le film nous présente alors Petrunya, une jeune femme de 32 ans au chômage, mais diplômée en Histoire, laquelle n’a pourtant trouvé de travail jusque-là. Alors qu’on vient de lui refuser un post d’assistante pour manque de compétences relatives au job en question, et qu’elle a surtout subi des attouchements lors de l’entretien, Petrunya se jettera à l’eau sur le chemin du retour, et un coup de tête, et saisira la croix lancée par le prête de la paroisse du village. Fière de l’avoir, mais étiquetée de voleuse, Petrunya se mettra pourtant à s’enfuir sous la haine des hommes présents, victime d’insultes et de discriminations. Elle sera alors arrêtée par la police et interrogée au commissariat du coin, tandis que l’affaire suscitera la curiosité d’une journaliste, prête à tout pour montrer aux yeux du pays toute son aberration...
Par ce fait divers quelque peu anecdotique à l’échelle mondiale, « Dieu Existe, son Nom est Petrunya » en dit pourtant long et large sur notre société dirigée par les normes patriarcales, ainsi que sur les diktats misogynes des canaux religieux. Plus encore, il illustre l’injuste situation rencontrée par cette femme, enfermée contre son gré et ses droits, bien qu’elle ne se laissera pas faire, tandis que dehors, le peuple attend réparation. Aussi, par le biais d’une journaliste révoltée, qui ne pèse pas ses mots, et qui n’a pas peur de se mouiller pour la cause de la femme (au contraire de son collègue qui rentrera au bercail sous les menaces de son patron), le film nous confronte aux problèmes de salaires qui divisent le pays, aux séparations de couples, mais surtout à l’absurdité de la tournure des événements, alors que les autorités devraient plutôt s’occuper des criminels et autres fraudes au sein du gouvernement du pays, plutôt que de chercher des poux à Petrunya et son acte légitime. C’est qu’un dilemme se joue ici entre l’Église, qui la sanctionne de profanation blasphématoire de la tradition, et la loi, aux yeux de laquelle elle n’a rien commis d’illicite. En gros, son arrestation n’est donc pas justifiée. L’enjeu en est d’autant plus énorme pour l’image de tout un système et son équilibre.

Sans approfondir, ni aboutir, mais en soulevant des montagnes par ses propos servis par des dialogues forts, le film de Teona Strugar Mitevska est l’un des indispensables du moment, tant il est pertinent et évocateur, et appuie une situation qui en appelle une autre, et qui ne peut plus perdurer. Le regard déterminé, tel que celui de son actrice principale Zorica Nusheva (issue d’une troupe de théâtre comique de la capitale du pays, Skopje), fier de prendre position, « Dieu Existe, son Nom est Petrunya » est une œuvre féministe qui part d’un rien, pour aboutir à un tout, et c’est là aussi toute la force de ce film indépendant à petit budget, venu de Macédoine du Nord.



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