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Joachim Lafosse
Continuer
Sortie le 30 janvier 2019
Article mis en ligne le 17 janvier 2019

par Charles De Clercq

Synopsis : Sibylle, mère divorcée, ne supporte plus de voir son fils adolescent sombrer dans une vie violente et vide de sens. Elle va jouer leur va-tout en entraînant Samuel dans un long périple à travers le Kirghizistan. Avec deux chevaux pour seuls compagnons, mère et fils devront affronter un environnement naturel aussi splendide qu’hostile, ses dangers, son peuple… et surtout eux-mêmes !

Acteurs : Virginie Efira, Kacey Mottet Klein, Diego Martín

Plus encore que de coutume, le critique va se retirer pour laisser place à l’homme, à l’humain en lui, après avoir vu le dernier film de Joachim Lafosse. Le « nous » dit de modestie, laissera donc place à un « je » qui s’incarne dans l’histoire de celui qui rédige cet article.

Je me suis rendu à la projection presse de Continuer sans m’être informé au préalable, sur le seul nom du réalisateur. J’ai beaucoup d’estime pour les œuvres qu’il produit et crée. Le nom seul laissait augurer un film de qualité. Mais, à lire le synopsis, je me demandais si je n’aurais pas affaire à un film mineur, un changement de cap et de genre dans sa filmographie alors même que, jusque là, je ne sortais pas indemne de la vision de chacun de ses longs métrages. C’est que la plupart de ceux-ci tournaient autour des familles, de leurs histoires, blessures, fragilités, déséquilibres et tensions [1].

Mais une deuxième chose m’attirait dans la découverte du synopsis : le Kirghizistan ! Un pays qui fait rêver le sédentaire que je suis, pour l’avoir découvert à travers les échanges avec un jeune réalisateur de mes amis : Laurier Fourniau (Low Notes) qui y est allé plusieurs fois, y a fait du cheval et réalisé un reportage photographique.

C’est avec cet unique bagage que je suis entré dans Continuer. Et autant écrire de suite que, dès les premières images, et durant tout le film (relativement court : 84 minutes), c’est le Kirghizistan qui m’a impressionné et bouleversé. Il y a certes les deux protagonistes Virginie Efira et Kacey Mottet Klein, j’y reviendrai, mais il en est un troisième, et pour moi, premier, celui qui titillait la rétine et faisait frémir le cœur : le Kirghizistan. Ces images-là m’ont fait me dire, très souvent, durant la projection, que je comprenais l’enthousiasme de Laurier Fourniau pour ce pays et que Joachim Lafosse arrivait à le magnifier. Il n’y avait pas que le pays, il y avait aussi ses (rares) habitants, et surtout les chevaux ! Une sensation d’une intensité qui n’a jamais faibli jusqu’au générique (j’y reviendrai plus loin).

Juste après le Kirghizistan, c’est le jeu des acteurs Virginie Efira, Kacey Mottet Klein qui m’a bluffé. Virginie Efira, dans un registre plus grave que la majorité de ses autres rôles, est impressionnante dans celui d’une mère dans ce périple hors de sa patrie [2]. Plus encore, c’est Kacey Mottet Klein qui transcende le film par une étonnante maturité. Il venait à peine d’avoir... dix-neuf ans au début du tournage et est bien loin du jeune Maxime de Keeper. Son corps, son visage surtout, sont empreints d’une gravité, comme s’il avait accumulé le poids, la charge, le non-dit d’un passé (sur lequel le scénario reste très discret) qui aurait buriné la chair de son protagoniste.

Et c’est là, dans une espèce de chassé-croisé entre le fils et la mère, la mère et le fils, se jouant dans une nature toujours très belle, mais qui parfois résiste ; confrontés à certains autochtones pour le pire, ou, à d’autres moments, pour le meilleur (celui touchant : le lien entre nature sauvage et nature dominée, au plus près d’un cheval enlacé pour mieux le ferrer). En ce lieu, le Kirghizistan, hors du temps, quelles voix pourront s’exprimer pour ouvrir une voie vers le dialogue ? Quand l’une parle et que l’autre se tait ? Quand des silences sont plus parlants que tous les discours ? Quand des non-dits, des allers-retours liés à une danse où la sensualité et le manque du corps s’expriment ? Quand le fils appelle sa mère qu’il ne voit plus (alors même que sa relation est tout en tension) ; quand la mère s’inquiète de ne plus voir le fils ? Quand l’on aperçoit un corps qui danse à l’horizon dans le silence ? Quand il est donné au spectateur d’en entendre le son, là haut, sur la montagne...

Plus que jamais, le fil rouge de ce film est analogue à celui de nombreux autres qui le précèdent. C’est d’abord dans la cellule familiale, souvent décomposée ou incomplète, que des tensions s’expriment, se crient, se hurlent, à défaut de pouvoir s’exprimer sereinement. Ce sont des tensions entre frères, entre mère et fils, entre épouse-mère et mari...

Tout comme dans un de ses tout premiers films, Tribu (un court-métrage de fin d’études, où le réalisateur mettait en tension les images paternelle et filiale...), ici, dans Continuer, les images maternelle et filiale sont questionnées dans l’immensité d’une nature prodigieuse qui est une sorte de huis clos paradoxal. Une confrontation de l’intime avec l’extime, comme si l’écho de ces voix de mère et de fils qui ne peuvent dialoguer se répercutait sur les monts, les plaines, les cours d’eau pour être renvoyé vers l’homme-fils et la femme-mère pour leur faire entendre, à défaut d’écouter, ces « mots-dire » qu’ils ne peuvent exprimer. Cette densité-là, cette richesse de sens, la possible voie qui s’ouvre à la rencontre de Sybille et de Samuel, clôturent un film remarquable.

Au moment où je bénissais le réalisateur de m’avoir offert un si beau film, le générique se déploie. Je quitte rarement une salle avant la fin de celui-ci. Et, là, après avoir découvert qu’il s’agit de l’adaptation d’un roman, soudain, comme un coup de poignard dans le cœur, je lis que les images ont été tournées au Maroc. Je l’ai perçu comme une trahison : « Joachim m’a tuer ! ».

Trahison parce que ce que j’avais pris pour le Kirghizistan ne l’était. Mais cela n’est ici pertinent que parce que mes présupposés ne l’étaient pas ou plutôt que mon histoire personnelle qui tissait des liens avec ce pays... et ses chevaux... n’avait rien à voir avec le film qui me racontait l’histoire que je venais de visionner. Il a fallu du temps pour décanter cela, pour prendre conscience que le lieu venait du roman et pas d’un choix volontaire du réalisateur. Ensuite, me rappelant la distinction que je fais, comme prêtre, par rapport aux récits bibliques et surtout évangéliques, entre « vérité » et « réalité ». Ce n’est pas parce que des faits relatés dans les évangiles ne sont pas le « réel historique » qu’ils ne sont pas la « Vérité ». Bien plus, que la « Vérité » de l’émetteur de l’époque n’est pas la « Vérité » du récepteur d’aujourd’hui. Et donc le cinéphile en moi s’est relevé pour me rappeler qu’il est des pays qui offrent tant de décors au cinéma : ainsi l’Afrique du Sud, mais aussi le Maroc ! Là, j’ai pu bénir le réalisateur de m’avoir donné à voir des images « vraies », qui ; à défaut d’être conformes au « réel », ont porté et conforté certains de mes rêves.

Lien vers la critique de Julien

https://www.youtube.com/embed/PyntTKpV6Xo
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