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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Lucie Borleteau
Chanson Douce
Sortie du film le 27 novembre 2019
Article mis en ligne le 22 décembre 2019

Signe(s) particulier(s) :

  • adapté du best-seller du même nom écrit par Leïla Slimani ayant obtenu le prix Goncourt en 2016, lequel était inspiré par deux faits divers survenus respectivement en 2002 et 1997 aux Etats-Unis.

Résumé : Paul et Myriam ont deux enfants en bas âge. Ils engagent Louise, une nounou expérimentée, pour que Myriam puisse reprendre le travail. Louise se montre dévouée, consciencieuse, volontaire, au point que sa présence occupe une place centrale dans la famille. Mais très vite les réactions de Louise deviennent inquiétantes.

La critique de Julien

Pour son second long métrage après « Fidelio, l’Odyssée d’Alice » (2014), la réalisatrice, actrice et scénariste française Lucie Borleteau s’est attaquée à l’adaptation du second roman de Leïla Slimani, ayant reçu le prestigieux prix Goncourt 2016.

Maternité affective et matérielle à défaut de biologique, « Chanson Douce », le roman, s’intéressait à la figure de la mère via ses deux personnages principaux, Myriam et Louise. La première était une mère de deux jeunes enfants émancipée et d’extérieur, et la seconde une nounou assujettie et mère d’intérieur, ayant raté l’éducation de sa fille, selon les normes sociétales. Myriam engageait alors Louise, pour tenir indirectement le « rôle » de mère de substitution, afin de lui permettre ainsi de redevenir une femme indépendante (et de parler d’autre chose que de couches-culottes), repoussant dès lors la figure traditionnelle de la maternité.

Analysant les modes de vie d’aujourd’hui au travers de parents économiquement dominants, et en manque de temps pour leurs enfants, l’intrigue tournait alors au drame, étant donné la position de la nounou, dépassant celle de la simple nourrice, dans un rapport de domination et de misère sociale vis-à-vis de ses employeurs, entraînant sa folie, sa jalousie, sa dépendance maladive, et aliénant son rôle à celui de mère pour ces enfants.

Alors que le roman commençait par la fin de l’histoire, et proposait donc une analyse psychologique de la situation par analepse, en remontant ainsi jusqu’aux événements ayant abouti au drame en question, cette adaptation ne respecte pas la structure du récit initial. En effet, Lucie Borleteau se contente ici de filmer la chronique d’une effroyable tragédie à venir. Dès lors, difficile d’assister à ce film, qui met mal à l’aise, qui dérange. De plus, la cinéaste efface ici la part moralisatrice de l’œuvre de Leïla Slimani, elle qui proposait au minimum une critique de notre société et des normes sociétales dictant la position de la femme en tant que mère. Car la caméra se concentre bien plus sur le rôle et la personnalité floue de cette nounou, que sur ces parents. D’ailleurs, les personnages d’Antoine Reinartz et de Leïla Bekhti n’évoluent guère au sein de cette histoire, eux qui seront alors des spectateurs profiteurs et « passifs » d’un inévitable dénouement. Car ils sentent bien que quelque chose ne tourne pas rond avec cette femme, eux qui en font même des cauchemars, bien qu’ils ne prennent pas le risque de s’en séparer, usant de manière désabusée de ses services... Mais pas question ici de flash-back qui nous aideront à les comprendre, alors qu’il s’agit du point de départ du roman de Leïla Slimani. Leur place n’est tout simplement pas ici la même. De plus, en inversant la chronologie de son récit, l’écrivaine brisait la banalité répétitive des événements, permettant ainsi au lecteur d’en savoir plus à l’avance que certains acteurs de l’histoire, lui donnant ainsi à son tour un rôle d’acteur, avec un regard aigu sur tout ce qui y était découvert. Rien de cela ici, mais davantage d’incompréhension, de distance.

Ici, la véritable coupable, c’est Louise, ou en tous cas la folie morbide dans laquelle elle s’enfonce, elle dont la vie est on ne peut plus morose dans son appartement de banlieue, veuve depuis peu, et marquée par la perte jadis de la garde de sa fille. Mais en tant que nounou expérimentée, ayant déjà travaillé avec de nombreuses familles, rien ne laisse finalement présager ici la réapparition de cette plaie. Pourtant, dès le départ, ce personnage affiche un sourire très inquiétant, avant de sombrer et d’afficher une posture de plus en plus intrusive, mais jamais stoppée par ces parents (pour les raisons que l’on sait). Karin Viard, absolument glaciale et d’une froideur extrême, interprète alors ce rôle assez lourd à porter, car on a du mal à imaginer quelqu’un aimer jouer ce genre de personnage. Pourtant, ce qui a le plus plu à l’actrice dans ce projet est le fait de se lancer en terrain inconnu, et de s’éloigner ainsi des rôles qu’elle a déjà pu jouer, elle qui est justement accoutumée à la comédie. Magistrale, son interprétation est donc selon nous la principale raison de découvrir « Chanson Douce », mais pas forcément au cinéma.



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