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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Matt Ross
Captain Fantastic
Sortie le 12 octobre 2016
Article mis en ligne le 21 août 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Dans les forêts reculées du nord-ouest des Etats-Unis, vivant isolé de la société, un père dévoué a consacré sa vie toute entière à faire de ses six jeunes enfants d’extraordinaires adultes. Mais quand le destin frappe sa famille, ils doivent abandonner ce paradis qu’il avait créé pour eux. La découverte du monde extérieur va l’obliger à questionner ses méthodes d’éducation et remettre en cause tout ce qu’il leur a appris.

Acteurs : Viggo Mortensen, Frank Langella, Kathryn Hahn, George MacKay

 L’acteur passe derrière la caméra

Matt Ross est un acteur avant d’être scénariste et réalisateur. Essentiellement un acteur de séries télévisées, même s’il a joué notamment dans les prestigieux Face/Off, American Psycho, Twelve Monkeys ou Aviator. Captain Fantastic est quasiment [1] son premier long métrage. Nous ne savions rien du film, même pas de son passage à Cannes [2] ! Le titre pouvait faire penser à un film de super héros (et, tous comptes faits, d’une certaine manière, il l’est) ou encore une fantaisie enfantine, à la « Disney ».

 Drame ou comédie ?

Et c’est à toute autre chose que nous invite Matt Ross grâce à un film qui secoue fameusement toutes nos idées préconçues et surtout le cocotier sur lequel nous nous trouvons. En gros, très gros, c’est l’histoire d’une famille recluse et repliée sur elle-même, vivant à la sauvage, en pleine forêt, dans la nature et qu’un élément externe va faire faire un exode hors de ce « trou » ! Toutefois, ce repli en mode « Robinson Crusoe » n’est pas le même que celui de Karen et John dans Couple in a Hole de Tom Geens tandis que l’exode de Ben (Viggo Mortensen) et de ses enfants, hors du lieu où ils se sont « enfermés » en pleine nature, n’est pas le même que celui de Ma et Jack dans Room de Lenny Abrahamson !

Le film oscille entre le drame et la comédie et nous laisse souvent en porte-à-faux, admiratif devant ce père qui éduque seul ses enfants, filles et garçons, à la dure, mais en même temps, inquiet et interrogatif face à une telle contestation de modes de vie qui sont les nôtres ! Le film (se) joue de cela avec élégance et savoir-faire grâce à un excellent casting ! Si tous les jeunes acteurs ne sont pas connus, ils sont en parfaite symbiose avec les adultes - comme tels dans le scénario -, mais également avec les acteurs, chevronnés souvent, qui les interprètent.

 Violence en forêt !

Tout commence très fort : nous sommes dans la forêt, nous voyons un cerf broutant dans l’herbe, ne voyant pas une menace quasiment invisible, sauf pour nous, dans les fourrés, un visage humain, noirci à la boue qui a séché. L’on se doute bien que quelque chose se trame et de fait, il va se passer quelque chose : l’animal va être attaqué et mis à mort par un jeune homme (Bo, interprété de façon absolument géniale par George MacKay, que nous avons vu récemment dans Pride de Matthew Warchus, en 2014). Déjà là, le spectateur n’est pas caressé dans le sens du poil. C’est que, en principe, on peut tuer des humains au cinéma, mais il en va autrement pour les animaux et on attend parfois le générique final pour voir si le label de l’AHA (American Humane Association) a été accordé. Alors on vous rassure, oui, il l’est... mais on sait aussi toutes les controverses sur ce thème. Et justement, pour revenir à celui du film, cette mise à mort, certes spectaculaire, est-elle plus violente que celle qui se cache dans les abattoirs ? Ce mode de vie, à la dure, que prône un père pour ses enfants s’oppose ainsi à nos modèles de société où la violence est cachée bien loin (de nos assiettes, par exemple).

 Vivre en autarcie

Cette famille n’est pas totalement coupée de tout. Sa vie en forêt est spartiate, mais elle bénéficie cependant de certains biens venus de la société de consommation, mais ils servent plutôt à gérer l’autarcie alimentaire. Ainsi on peut avoir des bocaux en verre pour stocker les aliments récoltés sur place... mais on allumera le feu avec des silex. Il y des règles de vie, des horaires à respecter, des activités très physiques pour maintenir le corps opérationnel et en forme. Il y a aussi l’éducation intellectuelle de (très) haut niveau. On découvre aussi que l’ainé a un secret (par le biais de lettres qu’il reçoit. Nous n’en dirons pas plus). Tout va bien ou semble bien aller dans ce coin de paradis terrestre, même si ce n’est pas toujours de tout repos ni sans risque (voir, notamment, la séance d’escalade !). Et un jour, Ben apprend une terrible nouvelle : son épouse qui était hospitalisée depuis quelques mois est décédée. Sans trop « spoiler », disons qu’il y a du conflit avec les beaux-parents de Ben, à la fois pour cette fuite dans la nature, mais aussi pour des questions de funérailles religieuses. Quoi qu’il en soit, ce décès va mobiliser toute cette famille qui va se mettre en route dans un vieux bus pour un inénarrable road movie. Celui-ci fait l’objet d’une bonne part du film et confronte notre joyeuse famille à des situations parfois cocasses : ainsi la façon de faire ses achats dans une grande surface ; la découverte d’Américains obèses (un pléonasme peut-être ?), la façon dont le père explique ce qu’est un viol à ses enfants, de façon triviale et technique ; la rencontre de l’ainé avec une fille dans un camping... c’est à se tordre de rire malgré le drame qui est sous-jacent. Il y aura ensuite la rencontre avec le frère de Ben et sa famille, occasion d’échange sur les modes d’éducation ; en somme une confrontation avec un monde ou règnent Facebook, Pokemon et jeux vidéo !

 Etre civilisé ?

Et c’est justement là tout l’intérêt du film. C’est que nous sommes partagés par les choix de Ben. Une part de nous interroge celle qui se complait dans un monde artificiel prôné par la société de consommation tandis qu’une autre n’est pas prête à abandonner tout cela. Tout à tour les protagonistes du film nous questionnent à travers leurs échanges. Ce sont les choix de vie, d’éducation, de scolarisation qui sont ici au centre du débat. Quelle est la responsabilité parentale ? Peut-on se passer de la société « civilisée » ? Peut-on s’abstraire des autres ? Et quand on est l’ainé, faut-il rester dans le nid ? Comment s’ouvrir à un futur à un amour respectueux ? Comment s’ouvrir au monde quand on ne connait que la Constitution des USA ou Noam Chomsky, même si on n’est pas dupe de l’emprise des religions, du consumérisme et de la société du capital !

Nous vous laissons découvrir la suite à l’écran... car le point de ralliement n’est pas un terminus, mais une étape dans le road movie, une étape dans la vie. Il y aurait des sacrifices à faire ? Quel holocauste à offrir sur quel autel pour préparer un avenir ? Quelle(s) mission(s) pour demain ? Ici ou ailleurs ? Dans la forêt, à l’abri, sans les « autres »... ou autrement !

 Un coup de cœur !

Un film absolument décapant, étonnant : un véritable coup de cœur, certes pas sans défauts, mais qui, grâce à un casting du tonnerre [3] en totale symbiose, donne une force extraordinaire à ce drame sur une ligne de crête avec la comédie. Pas une comédie dramatique, mais un drame empli d’une très joyeuse humanité. Des images superbes que nous devons au génie de Stéphane Fontaine (à qui l’on doit De rouille et d’os, Un prophète, De battre mon cœur s’est arrêté). Images, brillamment illustrées musicalement sous la supervision de Chris Douridas.



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