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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Luca Guadagnino
Call Me Be Your Name
Sortie le 14 février 2018
Article mis en ligne le 28 janvier 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Été 1983. Elio Perlman, 17 ans, passe ses vacances dans la villa du XVIIe siècle que possède sa famille en Italie, à jouer de la musique classique, à lire et à flirter avec son amie Marzia. Son père, éminent professeur spécialiste de la culture gréco-romaine, et sa mère, traductrice, lui ont donné une excellente éducation, et il est proche de ses parents. Sa sophistication et ses talents intellectuels font d’Elio un jeune homme mûr pour son âge, mais il conserve aussi une certaine innocence, en particulier pour ce qui touche à l’amour. Un jour, Oliver, un séduisant Américain qui prépare son doctorat, vient travailler auprès du père d’Elio. Elio et Oliver vont bientôt découvrir l’éveil du désir, au cours d’un été ensoleillé dans la campagne italienne qui changera leur vie à jamais.

Acteurs : Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg, Amira Casar, Esther Garrel

 Avant le film, un roman !

Luca Guadagnino adapte au cinéma un roman écrit en 2007 par André Aciman. Celui-ci est né en Egypte en 1951. Il a vécu en Italie, avant de s’installer à New York. Spécialiste de Proust et grand connaisseur de la littérature française, il enseigne la littérature comparée à la City University de New York. A l’image de la nouvelle Brokeback Mountain publiée en 1997 par Annie Proulx, ce roman est devenu culte dans le monde anglo-saxon. Le réalisateur Luca Guadagnino, à qui l’on doit l’excellent Amore (2009) et en 2015, A Bigger Splash, le pas vraiment réussi remake de La piscine (Jacques Deray, 1968), adapte ce roman à l’écran, ou du moins la première partie de celui-ci qu’il suit d’assez près. Voici ce que son éditeur en écrit : « Elio Perlman se souvient de l’été de ses 17 ans, à la fin des années quatre-vingt. Comme tous les ans, ses parents accueillent dans leur maison sur la côte italienne un jeune universitaire censé assister le père d’Elio, éminent professeur de littérature. Cette année l’invité sera Oliver, dont le charme et l’intelligence sautent aux yeux de tous. Au fil des jours qui passent au bord de la piscine, sur le court de tennis et à table où l’on se laisse aller à des joutes verbales enflammées, Elio se sent de plus en plus attiré par Oliver, tout en séduisant Marzia, la voisine. L’adolescent et le jeune professeur de philosophie s’apprivoisent et se fuient tour à tour, puis la confusion cède la place au désir et à la passion. Quand l’été se termine, Oliver repart aux États-Unis, et le père d’Elio lui fait savoir qu’il est loin de désapprouver cette relation singulière… ». Le roman se situe vingt ans plus tard et c’est en fait le moment de la narration de ces souvenirs, à la première personne par Elio. Le film n’en fait pas état et se contente de ce présent, de ce temps suspendu. Il s’arrête donc à la fin d’une love story alors que le roman est une relecture qui invite à oublier et faire mémoire... à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse : faire mémoire puis oublier... mais peut-on oublier une histoire d’amour ?

 Une love story !

Car c’est bien une fascinante et troublante histoire d’amour que nous raconte « Appelle-moi par ton nom », interprétée avec émotion, fougue et sensualité par ses deux protagonistes, Armie Hammer et surtout Timothée Chalamet. Une histoire qui a fasciné outre-Atlantique, mais qui pourrait arriver ici précédée de questions, suite à ce que nous appellerons par commodité l’affaire Weinstein. C’est que, au risque d’amalgames rapides, voire grossiers ou caricaturaux, certains intervenants sur des forums se focalisent sur l’âge des personnages en cause d’une part, et la nature homosexuelle de la relation, d’autre part ! Mais s’agit-il d’une love story gay ? S’agit-il d’une aventure italienne à la Brokeback Mountain ? Certes non... mais cependant oui... mais pas que. C’est qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’amour, universelle donc. Certes homosexuelle, mais cette dimension est ici seconde, mais pas secondaire, nous y reviendrons. Une consoeur de nos amies nous confiait, après la vision presse, avoir été bouleversée et touchée par le film et s’être identifiée à l’un de ses protagonistes. Pour elle, qu’il s’agisse de deux hommes, d’un homme et d’une femme ou de deux femmes n’était pas l’important, mais l’histoire d’amour. Nous ne pouvons que la rejoindre sur ce point. A noter aussi que des confrères de la presse LGBT disaient ne pas avoir été pleinement convaincus par le film qui leur semblait convenu, cousu de fil blanc, à l’eau de rose peut-être, pour une histoire datée de 1983 et relue avec des yeux du XXe siècle. Ce ne sont pas leurs mots, mais ce que nous avons « entendu ». En revanche, pour nous, comme pour plusieurs confrères et consoeurs, nous avons découvert un film touchant, émouvant, tendre, érotique, sensuel, passionné et parfois d’une tristesse qui rappellera à la mémoire de certains le souvenir d’amours adolescentes où l’on croyait que le toujours se conjuguerait pour l’éternité.

 Une histoire d’amour universelle...?

La beauté des décors, de cette Italie de 1983, pas encore totalement débarrassée de ses tabous mussoliniens, la villa du XVIIe siècle des parents d’Elio, le cadre enchanteur des endroits de baignade, de la bourgade sont un fabuleux écrin pour les différentes histoires d’amour qui s’y tissent, se défont et se retissent avec d’autres fils et tissus, sous la plume fabuleuse de James Ivory qui signe ici une réécriture magistrale du roman, avec l’aide d’une musique de Gerry Gershman et de Robin Urdang, sans compter la chanson Mystery of Love de Sufjan Stevens qui revient en leitmotiv (cliquer sur le titre qui suit pour découvrir les paroles en anglais et quelques extraits du film).


Mystery of Love

Oh, to see without my eyes
The first time that you kissed me
Boundless by the time I cried
I built your walls around me

White noise, what an awful sound
Fumbling by Rogue River
Feel my feet above the ground
Hand of God, deliver me

Oh, oh whoa whoa is me
The first time that you touched me
Oh, will wonders ever cease ?
Blessed be the mystery of love

Lord, I no longer believe
Drowned in living waters
Cursed by the love that I received
From my brother’s daughter

Like Hephaestion, who died
Alexander’s lover
Now my riverbed has dried
Shall I find no other ?

Oh, oh whoa whoa is me
I’m running like a plover
Now I’m prone to misery
The birthmark on your shoulder reminds me

How much sorrow can I take ?
Blackbird on my shoulder
And what difference does it make
When this love is over ?

Shall I sleep within your bed
River of unhappiness
Hold your hands upon my head
Till I breathe my last breath

Oh, oh whoa whoa is me
The last time that you touched me
Oh, will wonders ever cease ?
Blessed be the mystery of love

“Mystery of Love” by Sufjan Stevens (extrait de la bande son du film)

https://www.youtube.com/embed/KQT32vW61eI
“Mystery of Love” by Sufjan Stevens from the Call Me By Your Name Soundtrack - YouTube

Cette histoire-là est universelle bien sûr. Ce sont ces amours de l’adolescence qui vous foudroient et vous marquent à jamais, jusqu’au moment où l’on découvre qu’il y a un après le gouffre dans lequel on est tombé. Lorsque l’être aimé a disparu pour ne jamais revenir ou pour n’être plus celui/celle que l’on attendait/espérait/rêvait/fantasmait. Qu’il s’agisse d’amante ou d’amant importe vraiment peu ici car il s’agit d’une histoire d’amour universelle (du moins selon les perceptions occidentales), celles dont les adolescents font parfois l’expérience et qui les font chavirer. C’est un instant présent qu’il faut saisir et vivre et tel est probablement le sens de ce que dit le père d’Elio à son fils dans le discours émouvant qu’il lui adresse à la fin du film (et de l’aventure avec Oliver !).

 ... ou une histoire d’amour gay ?

Les amours sont contées ici avec une fascinante beauté et beaucoup d’intelligence par le réalisateur dont la caméra reste pudique jusque dans l’impudique. C’est que l’objectif sait se retirer pour laisser le champ libre aux amoureux et à l’imagination du spectateur. Certains plans, certaines histoires ouvrent des perspectives surprenantes, invitent à penser autrement l’utilisation d’un abricot, la façon de l’ouvrir, voire de le manger et tout cela dans la chaleur d’un été qui appelle au dépouillement des corps et au partage des esprits. C’est qu’il s’agit cependant d’une histoire d’amour gay et, écrivons-le, homosexuelle, entre un adolescent de 17 ans et un jeune adulte de 24. Il faut ici tout de go préciser face à la levée de boucliers possible de certains que, selon les critères d’aujourd’hui, la rencontre sexuelle de ces deux-là est « légale » et si il y a mineur « juridique » et adulte, l’adolescent n’est pas dans un lien de subordination face à l’adulte qui n’est ici qu’un étudiant du père d’Elio. Mais une relation qui pour tous trois s’inscrit sur fond d’une culture grecque homoérotique. Celle-ci est présente dans des œuvres d’art dès le générique et durant le film via des diapositives et des échanges entre le professeur et l’étudiant. Cela est trop présent, tant dans le livre que dans le film, que pour pouvoir être évacué par une simple déclaration d’amour « universel ». Mais ici, c’est l’adolescent qui est demandeur et l’adulte qui est réticent. Il comprend et entend l’appel, mais malgré son probable désir d’y répondre, il ne peut le faire, du moins immédiatement. Et il est bon de préciser ici que l’adolescent est presque adulte alors que l’adulte lui est encore adolescent. Et, pour le coup, les deux acteurs, plus âgés que leurs personnages (22 et 31 ans), arrivent à les habiter de façon très crédible. L’on peut même ajouter que ces deux acteurs hétérosexuels sont bien dans leur peau et leur tête. Si un acteur doit pouvoir jouer n’importe quel rôle, il arrive que certains posent des limites, parfois liées à des tabous, des peurs ou des impensés liés à l’homosexualité. Ce n’est pas le cas ici : Armie Hammer et Timothée Chalamet sont d’une vérité désarmante dans leur interprétation sans malaise et profondément humaine. Ces deux-là arrivent à faire croire en l’amour que leurs personnages se portent. Et si Armie Hammer s’était perdu dans quelques rôles, il investit celui-ci d’une virilité tendre, douce et délicate ; tandis que l’acteur franco-américain Timothée Chalamet révèle ici un potentiel digne d’un Oscar (totalement mérité... mais il ne l’aura pas, parce que trop jeune face à une concurrence difficile à contrer). Timothée a étudié intensivement l’italien, mais aussi le piano et la guitare pour être totalement crédible et vrai dans ce rôle d’un adolescent presque adulte, intelligent, cultivé et érudit.

 Quitter les étiquettes !

Nous convenons donc qu’il s’agit bien d’une histoire homosexuelle, mais nous résistons cependant à utiliser cette étiquette. Bien sûr, de telles histoires (faisons abstraction ici de la différence d’âge, déjà évoquée plus haut) ont déjà été traitées au cinéma. Ainsi dans Noordzee, Texas (Sur le chemin des dunes) de Bavo Defurne (2011), le jeune Pim découvre l’amour avec Gino... jusqu’à ce que celui-ci le quitte pour une jeune fille, au prétexte qu’il ne s’agissait que de passade adolescente... et tente de l’oublier avec un jeune gitan, Zoltan (Thomas Coumans, remarquable). Ou encore A Home at the End of the World (La maison au bout du monde, Michael Mayer, 2004) ou Bobby (Colin Farrell) et Jonathan (Dallas Roberts) vivent une aventure adolescente pour se perdre ensuite, mais pour se retrouver adultes où ils formeront un trio avec Claire. En somme, un début identique à Moonlight (Barry Jenkins, 2016) et une fin analogue ou proche de celle du roman d’André Aciman. Voire encore des thèmes abordés dans Die mitte der welt (Center of My World) (Jakob M. Erwa, 2016). Dans ces divers films, il s’agit d’amours homosexuelles d’adolescence avec la présence d’un tiers féminin au même moment ou à la fin de la romance. Toutefois, et en tout cas pour le film de Luca Guadagnino, nous hésitons à utiliser l’étiquette « gay » ou « bi » pour Elio. Selon les conventions de l’époque du film, Oliver est probablement un homo qui va rentrer dans le rang des conventions (il suffit de se référer à ses premières réactions par rapport aux premières avances d’Elio). Il nous parait plutôt que l’amour d’Elio n’est pas genré, que son objet soit Marzia ou Oliver. A notre estime, son objet est avant tout l’Amour et nous aimerions utiliser ici le concept de « fluidité sexuelle » que nous avons découvert grâce à la documentariste Patricia Chica dans son court-métrage (de fiction) Morning After (2017) que nous avons critiqué en ces pages.

Il faudrait donc abandonner les étiquettes et les classifications de genre pour voir ce très beau film, au titre d’une étonnante singularité (appelle-moi par TON nom !) qui renvoie l’identité propre à l’Autre aimé. Et c’est ce qui arrive à Elio. Il aime, un point c’est tout. Cet amour est éternel pour lui, c’est un amour pour toujours. Il sait et nous savons que l’amour éternel n’existe probablement pas et, en tout cas, est rare. Qu’il s’agisse d’un garçon, d’un jeune adulte l’important n’est pas là (et précisons à nouveau pour ne pas être mal compris, dans le respect des lois sur le consentement), l’important est d’aimer, de saisir cet amour d’en profiter, de chérir ce qui s’est passé pour ne pas le perdre, pour en faire mémoire. Et là, vous craquerez probablement au discours du père à son fils. Tolérance et compréhension d’un adulte sont là pour permettre le passage à l’âge adulte, pour faire le deuil tout en laissant place aux larmes d’un ado face à un feu ouvert... alors que les portes d’un amour passé se ferment (à jamais ?). Bravo Monsieur Timothée Chalamet !


Cliquer pour visionner une interview en français de Timothée Chalamet !

https://www.youtube.com/embed/BGeDAcwgw_M
Timothée Chalamet speaks French !! Armie Hammer Call me by your name Premiere by Cine+ and Canal+ - YouTube

et Timothée Chalamet et Armie Hammer reçus dans l’émission « Quotidien »

https://www.youtube.com/embed/WpzVhNZMxTc
Timothée Chalamet and Armie Hammer on Quotidien (French interview) part 1 - YouTube

 Bande-annonce :



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