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Edward Norton
Brooklyn Affairs / Motherless Brooklyn
Sortie du film le 04 décembre 2019
Article mis en ligne le 14 décembre 2019

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • adaptation libre du roman « Les Orphelins de Brooklyn » (« Motherless Brooklyn ») de Jonathan Lethem publié en 1999 ;
  • en plein tournage, en mars 2018, un incendie a touché un immeuble dans lequel la production était implantée, ce qui causa la disparition du pompier Michael R. Davidson du « Fire Department of the City of New York », tandis que le tournage ne repris qu’une semaine plus tard ;
  • second film réalisé par Edward Norton après « Au Nom d’Anna » (« Keeping the Faith ») sorti en 2000.

Résumé : 1957, New York. Lionel Essrog, détective privé souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette, enquête sur le meurtre de son mentor et unique ami Frank Minna. Grâce aux rares indices en sa possession et à son esprit obsessionnel, il découvre des secrets dont la révélation pourrait avoir des conséquences sur la ville de New York… Des clubs de jazz de Harlem aux taudis de Brooklyn, jusqu’aux quartiers chics de Manhattan, Lionel devra affronter l’homme le plus redoutable de la ville pour sauver l’honneur de son ami disparu. Et peut-être aussi la femme qui lui assurera son salut…

La critique de Julien

Vingt ans : c’est le temps qu’il aura fallu à ce projet cinématographique passionné d’Edward Norton pour qu’il voit enfin le jour. Adapté du roman « Les Orphelins de Brooklyn » de Jonathan Lethem, l’acteur en avait pourtant rapidement acquis les droits pour son adaptation, sans pour autant savoir s’il la réaliserait, bien qu’il sût par contre qu’il en interpréterait le rôle principal, et la produirait. Mais motivé par l’actuel président de la Warner Bros. Pictures Group., Toby Emmerich, Norton fut finalement assigné à la direction du film en février 2014. « Motherless Brooklyn » (en version originale) suit alors l’histoire de Lionel Essrog, un détective privé atteint du syndrome de Tourette, déterminé à résoudre le meurtre de son mentor et père de substitution Frank Minna, abattu avec son propre pistolet...

Tandis que l’intrigue du livre se déroule au début du XXe siècle, Norton a alors estimé que l’intrigue et les dialogues se prêtaient davantage au cadre néo-noir du New York de la fin des années cinquante, lui qui a également ajouté le personnage de Moses Randolph (Alec Balwin) à l’histoire, inspiré par l’infâme et raciste urbaniste de la ville de New York, Robert Moses. Or, plusieurs personnages clé du roman ont été entièrement éliminés (ou considérablement réduits), tandis que l’enfance de Lionel Essrog (Edward Norton) - avec ses trois acolytes orphelins Tony, Danny et Gilbert - est brièvement racontée par la voix-off du personnage, alors que les causes de la mort de Frank Minna (Bruce Willis) ne sont plus du tout du même fruit. On est donc à même de se demander s’il s’agit bien là d’une adaptation, ou plutôt d’une relecture personnelle et motivée du roman initial. N’en déplaise aux fans de l’œuvre originale, « Motherless Brooklyn » dégage énormément de charme par ses choix, au travers desquels transparaissent toute la sincérité de son metteur en scène dans sa démarche.

Tout d’abord, on ne vous cache pas que l’on sent passer ces cent-quarante-quatre minutes de film. Mais ce (long !) métrage libère une aura irrésistible, les longueurs étant sauvées par l’amour, la bienveillance et la nostalgie que porte Edward Norton envers son film, son histoire (on peut aisément le dire ainsi), et son personnage.
Bien plus que pour cette histoire de conspiration dans un New York anti-démocratique, raciste, et en pleine gentrification, « Motherless Brooklyn » se profite pour la sublime reconstitution d’époque qu’il nous propose, des décors emblématiques aux costumes, en passant par les accessoires et la photographie (sublime pont de Brooklyn illuminé et filmé dans un épais brouillard). Là où Norton a ainsi pris le risque de changer la période de temps de l’intrigue du bouquin, il permet à son adaptation de gagner en immersion. Et quelle invitation, soit celle de nous replonger dans les années cinquante dans cette ville, à la fois violente et magnifique, musicale et austère, dont la partie « démunie » de la population sera alors en proie à ses ambitions d’urbanisation impitoyables...

Face à une pléiade de seconds-rôles qui se dévoilent et jouent un rôle plus ou moins importants dans cette enquête, Edward Norton est de tous les plans, avec son visage creusé et ses traits angéliques, qu’il donne ainsi à son personnage auquel on aurait bien envie de prendre la main. Atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, son caractère touche autant qu’il désarçonne, étant donné des TOC qui se manifestent de manière incontrôlable. Ainsi, certaines de ses explosions verbales ne reflètent parfois en rien les propos des dialogues qu’il échange avec autrui, ce qui provoque parfois un rire en coin chez le spectateur. Son cerveau s’adonne ainsi à des expressions utilisant le nom « Bailey », tandis qu’il crie souvent le mot « if ! », qu’il cache tant bien que mal en faisant semblant d’éternuer. Ayant pris le temps de se renseigner sur ce trouble neurologique, Edward Norton offre alors une belle personnalité à Lionel Essrog, timide de nature, mais aux interventions extraverties, lequel se bat pour la vérité, jusqu’au-boutisme, et dans le moindre détail, malgré les dangers qui le guettent, et un cerveau sans cesse en ébullition. Bref, c’est tout un cinéma !

Cerise sur le gâteau, « Motherless Brooklyn » est accompagné d’une bande-originale aux petits oignons, du genre de celles qui réchauffent le cœur par ses accents jazzy et de piano classique sous effets de synthé. Écrite en moins de quatre semaines par Daniel Pemberton (fidèle compositeur de Danny Boyle, Guy Ritchie ou encore Ridley Scott), la partition du film est un péché mignon qu’on écouterait au coin du feu, sans s’en lasser. Et puis, que dire du titre « Daily Battles » interprété par le chanteur de Radiohead Thom Yorke, à la demande de Norton lui-même, et réinterprété telle une balade à la Miles Davis, faisant la part belle à la basse signée Flea (le bassiste des Red Hot Chili Peppers), au saxophone, ou encore à la batterie. Sans aucun doute l’une des plus belles créations musicales de cette année pour le cinéma !

Polar soigné, envoûtant, plein de candeur et d’intelligence, mais qui aurait sans doute gagné en efficacité narrative en raccourcissant sa durée, « Motherless Brooklyn » est une irrésistible plongée dans le New York des années cinquante, et un bel écrin qui reflète tout le talent de son réalisateur, scénariste, producteur et interprète principal.



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