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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Jan Komasa
Boze Cialo (Corpus Christi / La Communion)
Sortie le 7/10/2020
Article mis en ligne le 20 janvier 2020

par Charles De Clercq

Daniel, 20 ans, se découvre une vocation spirituelle dans un centre de détention pour la jeunesse, mais le crime qu’il a commis l’empêche d’accéder aux études de séminariste. Envoyé dans une petite ville pour travailler dans un atelier de menuiserie, il se fait passer pour un prêtre et prend la tête de la paroisse. L’arrivée du jeune et charismatique prédicateur bouscule alors cette petite communauté conservatrice.

Acteurs : Bartosz Bielenia, Aleksandra Konieczna, Eliza Rycembel, Tomasz Zietek, Zdzislaw Wardejn, Lukasz Simlat

 Une interprétation divine !

Le critique prêtre catholique (ou l’inverse) est méfiant par rapport aux films religieux. Certains sont d’une insupportable bondieuserie, d’autres (parfois les mêmes) sont des films de propagande dans le style des évangélicalistes. S’agissant d’un film polonais, le pire pouvait être craint. Et il n’en est rien. Boze Cialo (Corpus Christi) est une très heureuse surprise. A l’heure d’écrire cette critique, il est noté à plus de 8 sur IMDB [1]. Et c’est amplement mérité, car le film interroge des pans du religieux, mais est aussi une belle œuvre cinématographique, tant par la construction de l’intrigue, le choix des cadrages, la musique et l’interprétation « divine » d’un jeune acteur (Bartosz Bielenia, essentiellement connu dans le milieu théâtral et des séries télévisées), habitée d’un souffle qui transcende son personnage. L’acteur, né en 1992 est âgé de 27 ans, et est suffisamment « juvénile » pour incarner ce jeune délinquant de 20 ans.

 L’habit fait le moine

Si l’intrigue n’est pas l’essentiel du film (inspiré d’une histoire vraie), elle est cependant importante pour qui ne se sentira pas attiré, de premier abord, par la dimension religieuse du film. Aussi il n’y aura pas trop de révélation sur le déroulement de l’action, car action il y a : le film n’est pas contemplatif... Le cinéma a déjà abordé le thème d’une personne qui arrive dans une communauté en se faisant passer pour un prêtre. La plupart des cas, ce n’étaient pas des intrigues contemporaines et l’on peut le comprendre car il est fini le temps ou le prêtre était placé sur un piédestal (avec l’instituteur et le médecin). Ici, nous sommes au XXI siècle... en Pologne. La culture catholique y est profondément ancrée, au risque d’avoir des attitudes et comportements aux antipodes de l’Evangile (en matière sexuelle notamment). Ici, Daniel qui arrive dans un petit village perdu de Pologne (où il est censé venir travailler dans une usine à bois locale) est perçu comme un gamin par une jeune fille qu’il rencontre dans une église. Quand, par bravade ou par jeu, il lui annonce qu’il est prêtre, il lui suffit de mettre un col romain (qu’il a dérobé, sans raison particulière, en quittant le centre de détention) pour que les règles du jeu changent. C’est que dans une société et une culture profondément catholique, l’habit fait le moine, ou ici, un col fait le prêtre. Il y a un « croyable disponible » pour accepter le fait qu’il est prêtre et qu’il a donc autorité d’une part, et le droit d’être là !

 Un homme et un village partagés

Par un hasard de circonstance, Daniel sera amené à remplacer le curé souffrant. Il n’a pas de formation (le séminaire qu’il aurait souhaité entamer lui est refusé du fait de son passé délinquant) mais est habité d’un souffle, celui qui transporte les montagnes, aidé aussi par la mémoire des prédications d’un prêtre du centre qu’il estimait. Daniel est partagé : continuer ou pas à usurper le rôle de prêtre et le village est lui aussi divisé par plusieurs décès tragiques. Le coupable, déclaré d’office assassin, avec l’acquiescement de tous et particulièrement des autorités, est anathématisé et sa dépouille n’a pas le droit à des funérailles. La compassion et le souffle qui habitent Daniel l’amèneront à prendre une position « évangélique » de pardon à l’opposé de la majorité des paroissiens. Son autorité est-elle légitime ? L’on songera ici à une question posée dans l’évangile : est-ce que le Christ ne parlerait pas au nom de Satan ?

 Pardonner ou confesser !

C’est qu’il est question ici d’un catholicisme populaire (pas nécessairement identitaire comme certains catholicismes français, par exemple), provincial, de type sociologique où la forme est plus importante que le contenu. En cela le film se fait l’écho d’une Pologne qui adhère à un catholicisme rigide, qui conforte les fidèles dans leurs impensés. Il importe que l’Eglise ne vienne pas les troubler et c’est ce que fera Daniel, par son discours, à son corps défendant probablement. Le feu sacré qui l’habite (sincèrement ou pas) et probablement le dépasse va dans le sens de ses idéaux, ceux d’un jeune blessé par la vie et qui lui même fit du mal. En voulant amener le pardon sur la table, il est probable qu’il revendique un impossible pardon pour lui-même. Celui-ci lui sera rappelé dans le lieu même du pardon (ici, symboliquement le confessionnal) lorsqu’une ancienne connaissance se confessera de son péché. Et « son » est à lire ici dans toute son ambiguïté sémantique, car ce qui est ici confessé (pour lui nuire) est la violence mortelle dont Daniel a fait preuve et qui l’a amené dans le centre pour jeunes délinquants. Une chose serait de se revendiquer catholique, une toute autre serait de mettre en œuvre le message du Christ.

 Empathie pour l’imposteur ?

Daniel qui se sent désormais à la merci de celui qui le fera chanter (lui qui chante si bien !) est condamné à suivre la route qu’il a prise. Le passé et les institutions se rappelleront à lui. S’il y a peu d’empathie de la part des fidèles pour celui qui sera amené à se dépouiller des oripeaux de sa fausse identité ; en revanche, il suscitera celle du spectateur, du moins de celui qui n’est pas catholique ou qui est un croyant ouvert au fond plus que la forme. Il y a fort à parier que le catholique identitaire condamnera Daniel pour l’inadmissible faute d’avoir pris la vêture religieuse et d’avoir envahi l’espace sacré alors qu’il n’en avait pas le droit. A ce stade, il est difficile de connaître les intentions réelles du véritable protagoniste à la base de cette histoire. En revanche, la relecture qu’en fait le polonais Jan Komasa jette un regard sur le catholicisme de son pays, sur les communautés rurales et provinciales, sur l’importance encore très grande accordée au prêtre (tant qu’il agit tel qu’on attend de lui dans ses impensés). C’est aussi toute la question des jeunes délinquants et de la violence présente dans les institutions qui est dénoncée dans Corpus Christi. Le film débute et se conclut dans ce centre pour délinquant et celui-ci est rappelé par un de ses anciens membres, au milieu du film, dans un confessionnal. Corpus Christi se conclut en laissant sauve (c’est le cas de l’écrire) une échappatoire ouverte sur l’avenir.



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