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CINECURE
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Adil El Arbi et Bilall Fallah
Black
Sortie le 11 novembre 2015
Article mis en ligne le 10 septembre 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Mavela, une jeune bruxelloise de 15 ans, vient de rejoindre les Black Bronx, une bande de jeunes blacks. Un peu plus tard, elle tombe éperdument amoureuse de Marwan, un jeune marocain d’une bande rivale, les 1080. Le dilemme est cruel : elle va devoir choisir entre la loyauté à sa bande et l’amour.

Acteurs : Martha Canga Antonio et Aboubakr Bensaihi.

NB : Le film est réservé aux plus de seize ans.

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A la base du film, il y a un livre, ou plutôt deux, que Adil El Arbi et Bilall Fallah, de jeunes réalisateurs flamands, vont adapter, non sans difficulté [1]. Il s’agit de deux ouvrages dont la lecture fait partie des classiques à lire dans les écoles flamandes. Il s’agit de Black(NL), et de Back(NL), écrits par Dirk Bracke, en 2006 et en 2008 [2] [3].

C’est une histoire de et à la « Roméo et Juliette ». Tous deux sont jeunes et font partie de gangs rivaux. Nous connaissons le phénomène des bandes urbaines et nous le pensons loin de chez nous, plutôt aux USA dans certains quartiers mal famés de New York par exemple. Et pourtant l’auteur du livre et les réalisateurs situent l’histoire à Bruxelles. Capitale de la Belgique et de l’Europe, Bruxelles compte une quarantaine de gangs de rue [4]. Adil et Bilall, tous deux d’origine marocaine, ont pris cette histoire à bras le corps malgré les difficultés et nous proposent ici leur deuxième film. Si le premier (Image), réalisé en 2014 avec des acteurs flamands connus a été tourné avec un budget de cent vingt mille euros, Black lui en a couté un million ce qui a permis de réaliser un véritable film pour le grand écran qui n’est pas loin de faire penser à d’autres, américains, avec des budgets beaucoup plus importants. C’est que nos deux jeunes réalisateurs confient à Cinergie [5] : « Lorsqu’on était petit et qu’on découvrait le cinéma, on ne rêvait pas des frères Dardenne même s’ils font de très bons films, mais de Spielberg, Michael Mann, Spike Lee, Tarantino... Ce sont eux qui nous ont donné envie de faire du cinéma. On veut raconter une histoire très dure, mais en touchant le plus de gens possible. On veut que les gens soient transportés par les personnages et par l’action. Il faut que toutes les émotions ressortent. Si c’est un drame, il faut que les gens chialent. ». Ajoutons aussi l’importance de la bande musicale, essentiellement composée de « rap ».

Les bruxellois seront ravis (ou pas du tout !?) de découvrir des quartiers qu’ils ne fréquentent pas (Il y a plu de quarante bandes urbaines à Bruxelles [6]), en tout cas le soir et la nuit, Matonge (Ixelles) où sévissent les Black-Bronx et Molenbeek (les 1080, c’est aussi le code postal de cette commune bruxelloise). Adil et Billal souhaitaient - dès leur envie de devenir réalisateurs - placer l’histoire d’amour de deux adolescents dans un contexte de « guérilla urbaine ». Là où certains verront des clichés et des exagérations qu’un « blanc » ne se serait pas permis, eux ont osé (un peu comme certains réalisateurs juifs osent aller très loin dans un humour noir), comme le précise Adil : « En sortant de l’école de cinéma Sint Lukas, on n’avait peur de rien, on est allé les voir et on leur a dit qu’il serait préférable que le film soit réalisé par un arabe ou un noir car un blanc devra avoir plus de retenue. Nous, nous pouvions aller très loin dans l’histoire sans qu’on nous accuse de racisme. On connaît ces jeunes-là, on sait comment ils parlent. »

C’est d’ailleurs un des éléments fondamentaux qui rendent le film si réaliste et angoissant : les acteurs n’ont jamais tourné, ils viennent de la rue car il n’existe pratiquement pas d’acteurs marocains dans la tranche d’âge souhaitée : « On a cherché les acteurs dans la rue parce que quand tu regardes la télévision, il n’y a pas d’acteurs marocains, albanais ou noir ! Alors, on a monté un bureau de casting, Hakunah casting, avec Nabil Mallat et Chafik Amroui et on a rassemblé 450 jeunes qui avaient le profil des personnages. On y a trouvé nos seize personnages et ils sont tous débutants. On veut aussi montrer qu’il y a beaucoup de talents, mais il faut les chercher » (Billal). Ces acteurs et actrices, marocains et « blacks » sont criants de vérité. Je songe d’ailleurs au casting dans le film Le challat de Tunis où j’ai eu l’impression que les personnes « castées » faisaient une expérience cathartique et transmettaient quelque chose de leur propre expérience.

Vous qui entrez dans l’une de ces bandes, abandonnez tout espoir de rédemption ; vous qui entrez dans la salle pour la projection, abandonnez tout espoir de happy-end ! Le film est violent et nous fait découvrir des facettes très sombres des rivalités entre bandes, de la place de la femme comme objet. De la femme soumise à la bande, du viol comme punition d’appartenir à une bande rivale, ou d’avoir son amant dans celle-ci ! La caméra est à la fois dure, crue et pudique, mais la violence est là. Entre bandes, dans la bande, contre la police. Au sein de celle-ci certains (noirs ou arabes) ouvrent des portes pour une impossible sortie de secours. On ne quitte pas une bande. Tel est un des messages très fort de ce film, très humain, profond malgré le malaise et la nausée qu’il peut apporter.

C’est aussi un film flamand qui prend en compte la réalité bruxelloise. On y parle essentiellement en français, en arabe, en lingala, et un peu en flamand [7]. Au sujet de l’emploi des langues, justement. Plusieurs acteurs parlent un français impeccable, alors qu’ils sont d’origine flamande comme les réalisateurs. Ainsi Martha Canga Antonio (19 ans) qui joue le rôle de Mavela (15 ans) habite Malines depuis treize ans, mais elle a habité Liège jusque ses six ans. Elle précise aussi, à propos du tournage : « Quel que soit le résultat de cette aventure, ce film aura au moins le mérite d’avoir été tourné dans les quartiers sensibles, habités par une population qui n’aime pas être dérangée par la présence d’étrangers au voisinage. On parle de mérite pour avoir constaté combien il est difficile pour une petite équipe d’encadrer les allées et venues des passants, de leur demander « ne regardez pas vers la caméra ; s’il vous plaît, attendez que l’action soit terminée pour traverser le carrefour, etc. », tout en ne disposant ni de barrières ni de régisseurs faisant la circulation ! Ce fut impressionnant à voir, cette équipe néerlandophone (mais tous bilingues) accompagnant les curieux jusqu’aux limites du cadre de la prise de vue, les réalisateurs discutant en marocain avec les voisins, tout en restant concentrés sur leur tournage. ».

Un film comme celui-là me réconcilie avec ma belgitude. Malgré la violence qui risque de faire peur et fait mal, c’est un film à voir. Il plaira comme film d’action (ce qu’il est assurément), mais invitera aussi à une réflexion sur les violences urbaines, leur lieu de naissance, la difficulté d’être humain, tout simplement, les gangs, les vols, les viols, les « tournantes », les rackets, la drogue, le fait d’être étranger en terre étrangère. Un véritable coup de cœur (qui semble rejoindre les premiers échos venant de l’étranger) ! En tout cas le format condensé en 1h30 convient au film mais je me suis pris à rêver d’un format de type série, à la The Wire qui pourrait se déployer sur dix fois cinquante minutes et qui permettrait de donner un autre type de densité au récit !

Liens :

https://www.youtube.com/embed/qthmdtzPkL8
Black - Official Teaser - YouTube


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