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Wes Anderson
Asteroid City
Sortie du film le 14 juin 2023
Article mis en ligne le 22 juin 2023

par Julien Brnl

Genre : Comédie dramatique

Durée : 104’

Acteurs : Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Tilda Swinton, Adrien Brody, Margot Robbie, Rupert Friend, Bryan Cranston, Edward Norton, Liev Schreiber, Hope Davis, Steve Carell, Matt Dillon, Hong Chau, Willem Dafoe, Jeff Goldblum, Tony Revolori, Sophia Lillis...

Synopsis :
Le programme d’une conférence de jeunes astronomes et cadets de l’espace (organisée pour rassembler des étudiants de tout le pays et leurs parents à l’occasion d’un concours scolaire) va être bousculé par des événements chamboulant le monde.

La critique de Julien

La sortie d’un Wes Anderson est toujours un événement, et d’autant plus lorsqu’une partie de son ahurissant casting a monté les marches du Palais des Festivals de Cannes, en mai dernier, alors que le film du cinéaste américain y était présenté en Sélection officielle en compétition, tout en en repartant cependant bredouille. Avant (déjà) de le retrouver en fin d’année sur Netflix avec son adaptation (en moyen métrage) de la nouvelle « The Wonderful Story of Henry Sugar » de Roald Dahl (1977), dans laquelle il dirigera Benedict Cumberbatch en tête d’affiche, Wes Anderson nous régale avec « Asteroid City », lequel baigne dans des visuels si caractéristiques du réalisateur. Son intrigue se situe alors en 1955, lors d’une convention Junior Stargazer en plein désert américain, dans la ville fictive et rétro-futuriste d’Asteroid City, célèbre à la fois pour son énorme cratère dû jadis à l’écrasement d’une météorite, et sa proximité avec un centre d’essais nucléaires. Récompensant des jeunes astronomes en herbe, et rassemblant un public hétéroclite, cet événement va cependant être impromptu par un invité assez particulier...

La première originalité de ce onzième métrage est d’être une œuvre méta-textuelle, soit du cinéma théâtral, dans le sens où « Asteroid City » est en réalité une pièce de théâtre, dont on suit également les coulisses de l’intérieur, au regard de l’ouverture du film, en noir et blanc, filmé en 4/3, et dont les visuels s’inspirent de ceux de la série « Playhouse 90 » (1956-1960). L’animateur d’une émission télévisée d’anthologie (Bryan Cranston) présente alors une pièce du célèbre dramaturge Conrad Earp (Edward Norton), ainsi que ses interprètes, avant qu’elle ne débute, et cela par son générique d’ouverture, en écran large façon cinémascope, et en couleurs stylisées, tandis qu’un train de marchandises se dirige vers Asteroid City, au son du « Last Train to San Fernando » de Johnny Duncan. Le film [1] sera dès lors, tout au long, entrecoupé de l’histoire de la création de la pièce, et de quelques va-et-vient dans la « réalité ». Autant donc dire que la mise en scène du film d’Anderson est des plus particulières, partagée en différents actes, rythmée par les interventions du présentateur, alors qu’avance, en parallèle, l’intrigue de cette histoire de convention d’astronomie, et où une multitude de personnages cocasses va se retrouver, malgré elle, en quarantaine forcée. On sent donc que la pandémie est passée par là !

Désarçonnante dans sa construction, faisant choix à plusieurs reprises de changer du tout au tout son cadre, de jouer sur plusieurs plans en même temps sur une seule image, ou de passer sans raison d’une scène adjacente à l’autre, la mise en scène de Wes Anderson n’en demeure pas moins un régal pour les yeux, surtout lorsqu’est jouée ladite pièce. Car Anderson est fasciné par l’ Amérique des années 50, et de la frontière entre cinéma et théâtre, et de la mystique qui existe entre ses coulisses et ses planches. Avec ses références au « Paris, Texas » (1984) de Wim Wenders, ou au cinéma d’Elia Kazan, « Asteroid City » s’inscrit dès lors parfaitement dans la filmographie de son auteur, très reconnaissable. Couleurs pastel scintillantes, mouvements de caméra divers (panoramiques, travellings, etc.) et chirurgicaux, symétrie de l’image et dans la manière de filmer les décors, costumes et décors de taille(s) [2], ou encore un jeu d’acteur truculent, où chaque personnage possède ce petit truc à part font « d’Asteroid City » une douce fantaisie empreinte de nostalgique, mais aussi des angoisses de son metteur en scène. C’est un univers absolument assumé et irrésistible (et pour lequel on est là) auquel on prend donc rapidement part, sans parvenir, pour autant, à y rester...

Un photographe de guerre au visage fermé (Jason Schwartzmann, pour qui le film aurait été écrit) en plein deuil, avec son fils adolescent récompensé et ses trois filles cadettes, une actrice fatiguée du monde de la célébrité (fantastique Scarlett Johansson) et sa fille également distinguée, une intrépide scientifique (Tilda Swinton), un général cinq étoiles et hôte des prix Junior Stargazer à la diction très rapide (Jeffrey Wright), d’autres lauréats adolescents et leurs parents (Liev Schreiber, Hope Davis, etc.), un mécanicien (Matt Dillon), un directeur de motel sournois (Steve Carell), un chanteur cow-boy (Rupert Friend), un beau-père (Tom Hanks) peu aimable, et bien d’autres personnages composent cette galerie de sous-intrigues, sans véritables liens préétablis, elles qui ne savent pas vers où elles vont, tout en avançant quand même. Après tout, le plus important, c’est de raconter ! Par sa mise en abîme, Wes Anderson, qui filme ici des acteurs jouer aux acteurs qui jouent des personnages, questionne ainsi le processus de création, mais également la remise en question d’un(e) artiste, d’un(e) comédien(ne) en pleine impasse, tandis qu’il traite de questions existentielles telles que celle de la mort, de notre place sur Terre, de la peur du vide, de l’inconnu (etc.), alors que plane également au loin la menace nucléaire, et donc la guerre, sur fond de soif d’exploration spatiale.

Cependant, le fond s’avère moins passionnant ici que la forme, tandis que l’émotion, assez froide, peine à nous maintenir en éveil. Le visuel ne fait donc pas tout, Wes Anderson laissant, de plus, le rythme de côté durant une bonne partie de son film, où les dialogues aussi pertinents que creux se succèdent. On ne comprend d’ailleurs pas toutes les exubérances excentriques et incontrôlables du cinéaste, tandis que les nombreux passages entre le cinéma et le théâtre au sein de son film peinent à nous parler autant qu’ils parlent à leur metteur en scène, obsédé par ces arts. Pour autant, son film n’en demeure pas moins un petit bijou (de cinéma) qu’il serait dommage de ne pas regarder, ni d’écouter, étant donné également le formidable travail d’Alexandre Desplat, pour sa sixième collaboration consécutive avec Anderson. Bref, c’est un ovni (et c’est peu de le dire) signé par l’un des réalisateurs les plus talentueux - et sans retenue - de sa génération !



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