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James Gray
Armageddon Time
Sortie du film le 12 avril 2023
Article mis en ligne le 10 mai 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 115’

Acteurs : Anne Hathaway, Jeremy Strong, Banks Repeta, Jaylin Webb, Anthony Hopkins...

Synopsis :
L’histoire très personnelle du passage à l’âge adulte d’un garçon du Queens dans les années 80, de la force de la famille et de la quête générationnelle du rêve américain.

La critique de Julien

Passé en Sélection officielle en compétition au dernier Festival de Cannes, « Armageddon Time », le dernier film autobiographique du cinéaste new-yorkais James Gray, s’offre une sortie inespérée en Belgique. Or, celle-ci n’est pas due à la volonté de son distributeur Universal de le sortir dans les salles du pays, mais bien à celle de ses salles d’art et essai, lesquelles se sont concertées pour le diffuser, après avoir - bien évidemment - demandé la permission à son distributeur (notez que le film est déjà disponible chez nous en vidéo à la demande, mais également à la vente en support physique). Et tout comme l’ont fait Alfonso Cuaron, Kenneth Branagh ou encore Paul Thomas Anderson avec leurs derniers films, James Gray s’inspire ici de sa propre histoire pour celle de son film. Son titre, assez pessimiste, fait alors référence au tournant de la politique nord-américaine, dans lequel évolue l’intrigue, soit à l’aube de l’élection à la présidentielle du candidat républicain et conservateur Ronald Reagan, favorisant l’ultralibéralisme, et prononçant à la télévision durant sa campagne les mots « d’Armageddon Time », en citant Sodome et Gomorrhe, mais également à ses ambitions de défense anti-missile, et donc de menace nucléaire, lui qui a lancé en 1983 « l’Initiative de Défense Stratégique (IDS), connue sous le nom de la »Guerre des Étoiles« , pour répondre à poussée soviétique. Mais il s’agit surtout là d’une clef de lecture du cataclysme intérieur vécu ici par son jeune personnage principal, alors que Gray y utilise la chanson de reggae »Armagideon Time", reprise par les Clash en 1979, initialement coécrite et composée par le Jamaïcain Willie Williams...

Le film met ainsi en scène le jeune Paul Graff (Banks Repeta), vivant une vie paisible dans le Queens, lui qui est le cadet d’une famille modeste judéo-démocrates immigrée, dont les grands-parents ont fui l’Ukraine pour échapper à la persécution antisémite des années auparavant. Alors que son grand-père (Anthony Hopkins), dont il est très proche, l’encourage à suivre son rêve de devenir artiste (au grand dam de ses parents), Paul se découvrira une passion pour le dessin à la suite de la découverte d’une peinture abstraite de Kandinsky, lors d’une sortie scolaire au musée Guggenheim du Queens. Au contraire de son frère aîné (Ryan Sell), qui est inscrit à l’école privée Kew-Forest School administrée en partie par la famille Trump, Paul est quant à lui à l’école publique, là où il se liera d’amitié avec un Afro-Américain rebelle, nommé Johnny (Jaylin Webb), doublant sa sixième année. Mais le jeune garçon, se pensant protégé par sa maman (Anne Hathaway) présidente de l’association des parents d’élèves, et qui plus est inconscient du privilège de sa couleur de peau et de sa classe sociale, cumulera alors les bêtises avec son ami, jusqu’à un point de non-retour pour l’un d’eux. À une époque où il ne fait pas bon d’être juif et de traîner avec un noir, Paul va alors vivre de plein fouet les injustices de la vie, les préjugés et le racisme, refusant de se conformer aux attentes que la société - et donc ses parents - attend de lui, tournant ainsi le dos à l’élite (qu’il peut viser), comme elle tourne elle-même le dos à la différence, sous ses beaux discours progressistes et très pragmatiques de droite, en la personne ici de Fred Trump (le père homme d’affaires de l’ancien président des États-Unis)...

Après avoir déjà parlé de ses origines dans son premier film « Little Odessa » (1994), James Gray y revient au travers du portrait et du regard intimiste d’un jeune garçon dans lequel il se reconnaît, lui qui raconte son histoire et, à plus grande échelle, celle de son pays, tout en ayant filmé ce drame personnel doux amer en marchant sur trottoirs qu’il a foulés lorsqu’il était enfant, et cela après avoir dernièrement effectué un voyage dans la jungle avec « The Lost City of Z » (2016) et dans l’espace pour « Ad Astra »(2019). Avec « Armageddon Time », le réalisateur et scénariste nous parle une fois de plus de thèmes qui lui sont chers, comme la filiation (père-fils/grand-père-petit-fils) et les liens familiaux, permettant ici d’apprendre du douloureux souvenir de l’immigration. Par le parcours de son jeune personnage principal, Gray nous parle également d’amitié au-delà des frontières sociales préétablies, mais également de possibilité de croire équitablement en ses rêves malgré l’impact de celles-ci. Mais là où son film touche, c’est par le regard impuissant qu’il porte sur la perte directe et imméritée d’innocence et d’égalité sous prétexte d’appartenance une classe qui n’est pas considérée, par la supériorité, comme la normalité, ne lui offrant dès lès que très peu d’options de vie. On sent dès lors que James Gray a vécu cette situation, cette relation, ce mépris de ses propres yeux, lesquels l’ont, en partie, conduit à réaliser ce film, lui qui illustre ici ses propos habités avec sobriété et sans extravagance, mais éveillant consciemment à se battre contre toute forme de rejet, ainsi que pour l’audace de ne pas suivre les chemins tracés par la société...

En reflétant une période bien précise, James Gray a décidé ici de retravailler avec le directeur de la photographie new-yorkais Darius Khondji. Irrésistible, la photographie du film se veut sombre et automnale, tandis que la pellicule (numérique) donne l’impression que le film a été tourné durant les années où l’intrigue est racontée, ce qui lui donne un certain cachet, à la fois nostalgique et déprimant, dans le sens où la lumière y est peu présente. Mais celle-ci né ici de la force de ses personnages, face à un monde en rapide et perpétuel mouvement, face à une société fracturée devant laquelle on ne peut cependant pas reculer si elle nous offre des opportunités, soient-elles injustes ou non, elles qui peuvent être justement utilisées pour changer les choses, à leur échelle. C’est justement ici ce que fait James Gray, avec son film porté par un merveilleux Anthony Hopkins en grand-père et beau-père attentif, transmissif et compréhensif, mais également par un Jeremy Strong complexe, mais ô combien juste dans la peau d’un père intransigeant souhaitant que son fils soit meilleur que lui. Anne Hathaway, très en retenue, complète le casting dans le rôle de la maman du petit Paul, ravagée quant à elle par la perte, ainsi que les deux adolescents Banks Repeta et Jaylin Webb, qui, par leur relation, portent une multitude de messages - parfois surabondants - qui font tristement encore écho à nos jours.

Même s’il s’avère plutôt classique et peu rythmé dans sa mise en scène, « Armageddon Time » est un film juste, épuré, sans grande fioriture, et d’une grande authenticité. C’est un récit initiatique qui pose un regard profondément et terriblement humain sur la face cachée du rêve américain et les portes qu’il referme automatiquement derrière celles et ceux qui ne rentrent pas dans les casses imposées par la société bien trop politisée. L’impuissance racontée ici par James Gray est dès lors d’une mélancolie quelque peu bouleversante, bien qu’elle manque d’intensité pour pleinement marquer les esprits.



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