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CINECURE
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Jessica Hausner (2014)
Amour fou
Sortie le 18 mars 2015
Article mis en ligne le 25 février 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Berlin, à l’époque romantique. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour : il tente de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu’Henriette, une jeune épouse qu’Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Un film basé sur la vie et la mort du poète allemand Heinrich von Kleist.

Acteurs : Christian Friedel, Birte Schoeink, Stephan Grossmann.

 Après Lourdes !

Jessica Hausner n’est pas une inconnue des cinéphiles : c’est une ancienne assistante de Michael Haneke et elle a réalisé en 2009 son troisième long métrage : Lourdes [1]. Cinq ans plus tard, elle nous revient avec un film remarquable : Amour fou. Il ne s’agit pas d’un biopic à proprement parler, mais d’une très libre adaptation de la vie/mort du poète allemand Heinrich von Kleist (1777-1811). Et comme il arrive parfois, c’est en prenant distance que l’on s’approche peut-être le plus de la vérité. Il ne s’agit donc pas ici d’abstraire un événement de la vie de l’auteur de Michael Kohlhaas ou de la Marquise d’O : son suicide avec Henriette Vogel au bord du lac Wannsee, près de Potsdam. Il est question de rendre compte et de nous faire découvrir le mal-être, le spleen, la mélancolie d’un homme, d’une époque, d’une classe sociale en ce début du XIXe siècle alors que le poète (voire le pays) espère une coalition entre la Prusse et l’Autriche, contre Napoléon.

 Etre et paraître !

Ce qui frappe d’emblée à la vision du film, ce sont les images et la photographie. On croit voir un tableau de Vermeer. La réalisatrice arrive à illuminer les lieux et surtout les visages alors que l’on se trouve cloitré, engoncé dans un univers rigide, enfermé à l’intérieur (de soi et des habitations !). Il faut souligner ici le caractère remarquable des décors en studio et la qualité de la reconstitution. Ces images ainsi que la bande-son et les œuvres jouées et chantées durant le film rendent compte à merveille de l’ambiance romantique dans laquelle les personnages vivent au risque d’y être engoncés jusqu’à l’étouffement. La mécanique rigide des attitudes et des gestuelles nous montre des corps et des êtres dont la vie semble si lointaine, comme éteinte. Seuls les rituels viennent donner un semblant d’existence au monde, mais qui ne s’exprime que par le « paraître ».

 Théâtre et cinéma

La réalisatrice le montre d’autant mieux qu’elle ne fait pas du théâtre filmé, mais qu’elle théâtralise l’action cinématographique ! Outre que de nombreuses scènes (tournées en studio) sont figées dans le cadre de la pièce (je pourrais jouer ici sur les deux sens du mot !) les acteurs eux-mêmes sont contraints au texte, sans possibilité d’improvisation, tel que voulu par Jessica Hausner. Celle-ci puise dans l’œuvre d’Heinrich von Kleist pour l’adapter et la corseter dans son film. Ses acteurs entrent ainsi dans la peau de leurs personnages qui sont eux-mêmes régulièrement en « représentation ». A table, dans le salon où l’on chante au son du pianoforte, ce qui se donne à voir n’est que façade et apparence.

Il faut noter aussi plusieurs plans ou Henriette et son époux sont dans leur chambre, dans des lits séparés, c’est normal à l’époque, mais surtout, opposés l’un à l’autre, hors focus de l’image ! En effet, entre les deux lits : une lampe et les protagonistes sont de cette façon exclus d’un centre. Ils sont deux bien entendu, mais seuls et excentrés.

Et c’est ici que l’opposition entre le cadre fermé et irrespirable des intérieurs s’oppose aux extérieurs du film. Les paysages aèrent celui-ci, mais ne seront, à la fin, que le lieu d’une dernière scène, doublement mortelle !

 Des dualités impossibles !

Il ne s’agit d’ailleurs pas de la seule opposition. En effet, le film confronte ses protagonistes à des alternatives qui mènent chacune à des apories !

Le poète doit choisir entre la vie fade et sans aucun sens et la mort, si tentante, pour autant qu’elle se fasse avec l’être aimé (le chant de la violette est ici éclairant) !

Le poète doit choisir entre deux femmes : Marie, sa cousine ou Henriette Vogel. Ce choix ne sera pas simple. En effet, cette dernière veut bien accepter le double suicide (un suicide assisté d’une certaine manière) parce qu’elle craint la mort à cause d’une tumeur (le retournement de situation, à la fin, choisi par la réalisatrice au détriment de la réalité historique ajoute une dramatisation - romantique ? - au récit). Le poète aura donc des doutes sur le choix amoureux, mais cela ne traduit que son impossibilité à se situer face à lui-même et face au monde. Outre qu’il apparaît timoré, pusillanime, il ne peut accepter le face à face d’un conflit. Ainsi, une scène dans un restaurant où Heinrich est placé entre Henriette et un homme qui lui fait comprendre la nature de leur relation adultérine est très significative. Outre qu’il se retire en fuyant la confrontation, il ne peut le faire qu’en dérangeant l’une des deux personnes attablées, ici Henriette et cela de façon gauche et maladroite.

Le poète doit choisir entre deux armes. Craignant le pire : rater sa mort, il prévoit deux armes. Et, comme il se doit, après avoir « suicidé » Henriette, l’arme s’enraye deux fois lorsqu’il la retourne contre lui.

Les bourgeois sont confrontés à la culture de deux nations : la leur et celle de la France. Adopter les idéaux français paraît impossible ! Peut-on accepter l’égalité de tous ? L’impôt pour tous ? La levée du servage ? Ces notions de liberté et d’égalité viennent heurter de front les tenants des droits d’une bourgeoisie agonisante. Celle-ci a beau jeu de relever les contradictions de la Révolution, il n’empêche que ces questions, abordées en « bruit de fond », comme conversations de salon, sont importantes. Elles traversent tout le film pour accompagner voire dépasser l’histoire singulière d’un double suicide sur fond d’amour pas vraiment épanouissant (même si le mari d’Henriette lui ouvre un possible avenir avec son amant sans se douter des funestes projets de celui-ci).



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