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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Robin Campillo
Cent-vingt (120) battements par minute
Sortie le 23 août 2017
Article mis en ligne le 11 août 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean. (ci-contre, le réalisateur - © Céline Nieszawer)

Acteurs : Adèle Haenel, Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Antoine Reinartz, Félix Maritaud.

 Les années SIDA, AZT... Mitterand !

Nombre de participants au Festival de Cannes 2017 voyaient le film obtenir La Palme d’or. Il (n’)a obtenu (que) le Grand Prix du Jury, amis également la Queer Palm, le Prix FIPRESCI à Cannes, le Prix François-Chalais, le Prix du Public au festival du Film de Cabourg 2017 et, la même année, le Out d’or de la création artistique.

Ni autobiographie ni documentaire (malgré les apparences) 120 battements par minute fait œuvre de mémoire en puisant dans celle du réalisateur, Robin Campillo, qui fut militant Act Up. Après Les revenants (le film), on lui devait le remarquable Eastern Boys qui entrainait le spectateur dans le milieu de jeunes prostitués venant de pays de l’Est (Ukraine, etc.). Film qui commençait dans un style quasi documentaire pour arriver au plus intime des sentiments, de l’amour, de la haine, de la peur, de la prostitution, de la paternité.

Nous sommes ici dans les années Mitterand, sida, AZT, Aides... et Act Up. Un film qu’il faut voir. Annoncé tous publics, il pourrait cependant gêner certain(e)s : si voir deux filles ou deux garçons s’embrasser, des jeunes hommes faire l’amour vous met mal à l’aise ou vous heurte, il faudra peut-être éviter le film. Il n’empêche, c’est une réalité et Campillo ouvre les yeux, mais également son cœur et sa mémoire pour nous plonger dans les terrifiantes premières années du SIDA. Celles qui suivaient les premières angoisses devant l’inconnu de ce que certains nommaient le « cancer gay ». Ce sont les premières années du deuxième mandat de François Mitterand, mais aussi celles d’Act Up Paris, fondée en 1989 [1]. A cette époque, Hervé Guibert (1955-1991) écrit À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) Le protocole compassionnel (1991). Il meurt du sida dans les années où plusieurs milliers de malades meurent par an en France (près de 3000 en 1990).

 Ceci n’est pas un documentaire !

Il ne s’agit donc pas d’un documentaire sur Act Up, mais une (re)construction du fonctionnement d’une association qui a joué un rôle essentiel dans la sensibilisation et la mobilisation. A travers les rencontres hebdomadaires, nous découvrons un mode de fonctionnement où les décisions se prennent par consensus, mais n’empêchent pas les tensions voire les dissensions sur les actions à accomplir et surtout les moyens utilisés. Face à Act Up et déjà présente depuis plusieurs années il y avait l’association AIDES (créée en 1984) qui agissait de manière plus feutrée, plus consensuelle tout en ayant une grande proximité avec les malades. Si cette association est peu présente à l’écran, le spectateur découvre que celle-ci prend distance par rapport aux modes d’action d’Act Up. Il en est de même de certains homosexuels qui leur reprochent de faire voir cette réalité-là. Face à l’absurde, à l’inéluctabilité, et au caractère mortel de la maladie baiser leur semble la seule échappatoire et ne veulent entendre rien d’autre. Il y a aussi les actions auprès de laboratoires pharmaceutiques, des pouvoirs publics, mais aussi dans la rue, les écoles, où lors des Gay Pride. Une association attentive aussi à la transmission du SIDA par les seringues chez les drogué(e)s mais également dans les prisons et chez les hémophiles. Une association qui rêve de teindre en rouge les eaux de la Seine, tout comme dans le texte mythique des dix plaies d’Egypte !

 Deux axes

Le film se développe selon deux axes, le premier consacré à Act Up, son mode de fonctionnement interne, ses actions et ses militants. Le second suit quelques jeunes militants et en particulier deux d’entre eux qui vont se lier d’amitié et devenir amants, Nathan (Arnaud Valois) et Sean (Nahuel Perez Biscayart, que l’on avait vraiment découvert dans Je suis à toi de David Lambert en 2014 ). Ces deux acteurs (comme beaucoup d’autres d’ailleurs dans le film) sont des interprètes remarquables de leurs personnages, en tendresse, émotion, violence et impuissance.

Tout comme Andrey Zvyagintsev le fait dans son film Loveless (Faute d’amour) en mettant en exergue l’association bénévole russe « Liza Alerte » (qui recherche des enfants et personnes disparues), Campino met le focus sur l’association parisienne. Plus exactement il aura deux focus, comme dans une ellipse à double foyer [2]. Le premier concerne l’association, dont le rôle a été vital, indispensable et nécessaire, malgré ce que d’aucuns considéraient comme politiquement incorrect. Une association dont les membres étaient séropositifs (et pour ceux qui ne le seraient pas en assumer l’étiquette). Une association où la joie de vivre, l’action, et la mort proche, annoncée, celle de leurs amis ou la leur faisait partie leur existence au quotidien. Le deuxième est profondément humain, à fleur de peau en mettant quelques-uns en avant : leurs relations, leurs peurs, leurs amours, leurs fluides, l’amitié, le sexe, la colère, la révolte, la mort si jeune, trop jeune, l’impuissance, l’euthanasie aussi. Et il est possible que ce qui sera vu, montré, décrit, mette certain(e)s mal à l’aise parce que ’la question homosexuelle’ (en référence à l’ouvrage du même nom publié en 1975 par l’abbé Marc Oraison (1914-1979) ! - quoiqu’on en dise - est toujours d’actualité, en particulier en milieu chrétien. Il faudrait cependant passer outre pour prendre conscience, faire œuvre de mémoire humaine et citoyenne, d’autant que l’homophobie est toujours présente - comme on le découvre également dans le remarquable Una Mujer Fantástica (Une femme fantastique) de Sebastián Lelio.

Enfin, il faut mettre en avant le jeu remarquable des acteurs et actrices, connus, ou pas, débutants parfois, ainsi que celle des figurants, profondément impliqués au service d’un long métrage bouleversant d’humanité.



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